Le nouveau président du conseil italien, Giuseppe Conte, accompagné d’un garde du corps, à Rome, le 24 mai. / ALESSANDRA TARANTINO/AP

Mercredi 23 mai, de Giuseppe Conte à la présidence du conseil italien. Juriste, ce novice de la politique devra mettre en œuvre le programme négocié entre l’extrême droite et le Mouvement 5 étoiles (M5S), qui forment la nouvelle coalition à Rome. Le correspondant du Monde en Italie, Jérôme Gautheret, a répondu aux questions des internautes.

Chiara : Quelles sont les chances de survie de cette coalition hétéroclite ?

Jérôme Gautheret : A court terme, l’alliance est très populaire dans l’opinion et l’opposition est encore dans une posture de sidération plus que de combat, si bien que Salvini comme Di Maio n’ont rien à craindre. De plus, ils ont trop risqué, l’un et l’autre, auprès de leur base pour chercher à faire tout de suite marche arrière.

Mais quand les difficultés surgiront – et cela peut être une affaire de semaines –, alors on verra jusqu’où va la solidarité qu’ils affichent. En effet, la Ligue et le M5S sont porteurs de trop de contradictions, leurs électorats ont des aspirations trop différentes pour que l’attelage dure cinq ans.

Quentin : Ces mouvements veulent-ils prendre des mesures contre les migrants ?

C’est un des rares sujets sur lesquels ils sont sur la même longueur d’onde, et le plus facile à mettre en œuvre immédiatement. Un tour de vis antimigrants est à attendre dans les prochaines semaines. Autre avantage pour la Ligue et le Mouvement 5 étoiles : ils pourront sans danger mettre en avant leurs succès, vu que le flux d’arrivées s’est déjà en grande partie tari, depuis l’été 2017, après les accords très controversés conclus entre le gouvernement italien et divers acteurs locaux libyens. En clair : l’actuel ministre de l’intérieur, Marco Minniti, a parfaitement préparé le terrain à la Ligue.

Bizarre : La question du CV truqué n’a donc pas dérangé le président italien ? Comment peut-on expliquer cela ?

Le président italien, Sergio Mattarella, a seulement temporisé, pour vérifier que la Ligue et le Mouvement 5 étoiles ne changeaient pas d’avis. Mais les deux partenaires de l’alliance ont eu tellement de mal à se mettre d’accord sur un nom qu’il aurait été suicidaire pour eux de repartir pour un nouveau tour de consultations. De plus, l’idée d’un premier ministre faible ne déplaît ni à Matteo Salvini ni à Luigi Di Maio. c’est même exactement ce qu’ils ont en tête.

Schtroumpf : Comment pourrait-on placer le parti M5S sur une échelle droite-gauche ? Leur dégagisme est-il plus proche de celui de LFI, de LREM ou du FN ?

Jérôme Gautheret : Eh bien… disons que cette alliance n’est pas à gauche, n’est pas au centre, n’appartient pas à la droite modérée et peut difficilement être rangée à l’extrême droite.

Plus sérieusement, la Ligue est à peu près classable, c’est un parti de droite souverainiste, aux frontières de l’extrême droite, mais qui localement gouverne plutôt comme un parti de droite traditionnel. Le Mouvement 5 étoiles, pour l’heure, échappe à toutes les classifications. La pratique du pouvoir dans ses rangs permettra d’y voir plus clair – et encore, même cela n’est pas certain.

Subaratu : Quelle place pour Silvio Berlusconi dans le dispositif de la coalition ? Pourra-t-il peser, notamment avec le Sénat où la majorité de la coalition est décrite comme plus fragile ?

A la Chambre comme au Sénat, Forza Italia sera dans l’opposition, et n’a pas l’attractivité minimale qui pourrait justifier des défections de la majorité Ligue-M5S vers son groupe. Son principal poids sera sans doute ailleurs, dans la gestion des régions dirigées par l’alliance dite « de centre-droit », regroupant Forza Italia, la Ligue et Fratelli d’Italia (postfascistes). En Lombardie et en Vénétie, les deux territoires les plus prospères du pays, Silvio Berlusconi aurait les moyens de faire sauter les majorités. Mais il ne le fera que s’il pense que son parti n’a rien à perdre à une telle explosion. Or les sondages montrent bien que Forza Italia est pour l’heure la première victime de la montée de la Ligue du Nord.

Par ailleurs, en s’accrochant à la direction de la droite modérée à 82 ans, malgré sa condamnation par la justice, Silvio Berlusconi empêche l’émergence d’une alternative modérée, conservatrice mais proeuropéenne, à Matteo Salvini. En cela, il est le meilleur allié de la Ligue.

asap : Le président du conseil aura-t-il la légitimité d’imposer des réformes avec une chambre des députés et un sénat autant disparate ?

Il dispose d’une majorité claire dans les deux chambres, et d’un “contrat”, qui, même s’il n’a rien, dans la forme, d’un contrat en bonne et due forme, constitue un programme politique incontestable. Et la majorité des Italiens ont voté pour l’un ou l’autre. Donc leur légitimité à agir est absolument incontestable.

Olivier33 : Quelle est la position exacte de ce nouveau gouvernement sur l’Europe et quel est le risque réel de sortie de l’Italie de la zone euro, voire de l’Union européenne ?

Là est toute la difficulté, il n’y a pas de position exacte. Luigi Di Maio n’a cessé ces derniers mois d’affirmer que le Mouvement 5 étoiles voulait rester dans l’Europe, et continue à tenir un discours presque raisonnable. Matteo Salvini, en revanche, semble rechercher l’affrontement. L’hypothèse d’un mécanisme de sortie de l’euro figurait dans la première version du « contrat de gouvernement » ayant circulé dans la presse. Puis elle a disparu, sans aucune explication. Bref, difficile d’y voir clair.

marco : Sur quels réseaux peut compter Giuseppe Conte en Italie et en Europe ?

A titre personnel, à peu près aucun. sans doute est-ce aussi pour cela qu’il a été choisi.

Jollivet : On connaît la position hostile des gouvernements français et allemands aux propositions européennes de la coalition italienne. Les gouvernements d’Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, Republique tchèque) ont-ils exprimé la leur ?

La position de la France et de l’Allemagne a surtout été de rappeler à l’Italie un certain nombre d’engagements communs, principalement en matière de déficits. Elle ne peut se concevoir que dans le cadre de l’euro, qui crée des solidarités de fait : si l’Italie est attaquée sur les marchés financiers, c’est toute la zone euro, et donc aussi la France, qui souffrira.

Du côté hongrois ou polonais, rien de tel. La seule chose dont ils pourraient éventuellement s’inquiéter, c’est que la Ligue (ex-Ligue du Nord) exige de chaque pays européen qu’il accueille sa part des centaines de milliers de migrants qui sont aujourd’hui sur le sol italien. Et de ça, ils n’auraient aucune raison de se réjouir.

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