Les Golden State Warriors, le 31 mai à Oakland, face aux Cleveland Cavaliers. / Thearon W. Henderson / AFP

Cleveland a LeBron James. Mais Golden State a la Silicon Valley. Si la franchise d’Oakland, en Californie, est la grande favorite des finales NBA, dont Cavaliers et Warriors disputent dimanche 2 juin le deuxième match (Golden State mène 1-0), elle ne le doit pas qu’à ses joueurs : elle le doit aussi à ses nouveaux dirigeants, notamment au propriétaire Joe Lacob, arrivé tout droit de la Silicon Valley pour sortir les Warriors d’une disette qui durait depuis 1975.

Pour comprendre ce changement, il faut remonter à 2010, quand Joe Lacob, Peter Guber et un groupe d’investisseurs reprennent une franchise du coin (Oakland n’est qu’à quelques kilomètres de San Francisco) et perpétuellement sur le déclin pour 450 millions de dollars. Joe Lacob n’est pas un inconnu dans le monde de la Silicon Valley, rappelle Wired.

« Depuis longtemps associé dans le cabinet d’études Kleiner Perkins Caufield & Byers, Joe Lacob avait derrière lui la réputation d’un homme prêt à prendre beaucoup de risques pour des start-up qui allaient lui rapporter gros. »

Quand il prend le contrôle des Warriors, il sait qu’il doit mettre fin à une spirale négative (une seule participation aux playoffs en dix-huit ans). Mais il ne peut compter que sur quelques rares bons joueurs, et une potentielle star, si Stephen Curry parvient à échapper aux blessures et trouver son rythme dans la ligue. Avec patience, Joe Lacob et les nouveaux responsables des Warriors y installent petit à petit la culture de la Silicon Valley, raconte Erik Malinowski dans son livre Betaball : How Silicon Valley and science built one of the greatest basketball teams in history (Betaball : Comment la Silicon Valley et la science ont créé l’une des plus grandes équipes de basket de l’histoire, Atria Books, non traduit).

« Ils ont évalué la place de chaque employé dans l’entreprise, mais ont attendu six mois avant de mettre en œuvre des changements radicaux. Tous les employés insatisfaits de leur rôle ont été sommairement expédiés à d’autres concurrents. L’espace de travail a été rénové pour améliorer le workflow, la communication et la confiance. Une plus grande importance a été accordée à la recherche de solutions technologiques aux problèmes en suspens et à l’utilisation d’analyses de données exclusives pour découvrir les avantages latents que leurs employés possédaient déjà. »

Une équipe en « version bêta »

Et comme l’expliquait le New York Times Magazine, après le titre NBA de 2015, les Warriors ont été les premiers à s’immerger dans cette culture : « Une gestion souple, une communication ouverte, l’intégration de la connaissance accumulée des conseillers externes et une réévaluation continue de ce que les entreprises font et comment elles le font. »

Dans son livre, Erik Malinowski détaille également comment l’environnement de l’équipe s’est mis à changer, pour ressembler à celui d’une start-up classique aussi sur la forme : immense open space, changement d’éclairage, souvenirs de temps glorieux au mur. Un ancien entraîneur de l’université de Hawaï le décrivait ainsi au New York Times : « C’est Google dans la NBA. »

La comparaison peut sembler drôle et osée, mais elle n’est pas si fausse. En 2016 à Stanford, Peter Guber, l’autre propriétaire des Warriors expliquait que la franchise était dans « une version bêta permanente », un produit jamais vraiment fini en somme, prêt à évoluer et s’adapter, en quête d’une perpétuelle amélioration. L’un des meilleurs produits de Google, Gmail, est resté cinq ans en version bêta. Et comme Google n’est pas qu’un moteur de recherche, les Warriors ne se voient pas uniquement comme une équipe NBA.

« En vérité, nous ne sommes pas vraiment une équipe de basket, expliquait Joe Lacob au début de la saison 2016-2017. Aujourd’hui, nous sommes bien plus que ça. Nous sommes une entité sportive, médiatique et technologique. » Mais c’est aussi Google, parce que la culture y est similaire. Alors que la fonction de propriétaire de franchise exige une gestion pyramidale, Joe Lacob, lui, a accepté d’être à l’écoute.

Innovations technologiques

La franchise s’appuie aussi fortement sur les évolutions technologiques. Les Warriors sont ainsi l’un des premières équipes à avoir équipé leur terrain de SportVU, un système de motion-capture qui, couplé à MOCAP Analytics, permettait de transformer les données brutes en simulations de jeu, cartes thermiques, et rendre toutes ces informations digestes.

« Comme les start-up obsédées par le big data, les Warriors ont commencé à tout quantifier : du rythme de sommeil des joueurs à leur réussite au tir », résume Wired.

Parfois, ces rapprochements technologiques ne marchent pas, comme à l’été 2016 lorsque le casque de réalité virtuelle de Kevin Durant – amené par les Warriors pour lui montrer à quoi ressemblerait sa présence dans l’équipe californienne – ne fonctionne pas, et qu’ils doivent se résoudre à le convaincre de les rejoindre avec leurs mots.

May 31, 2018; Oakland, CA, USA; Cleveland Cavaliers forward LeBron James (23) shoots the ball against Golden State Warriors forward Draymond Green (23) during the first quarter in game one of the 2018 NBA Finals at Oracle Arena. Mandatory Credit: Kyle Terada-USA TODAY Sports / Kyle Terada / USA TODAY Sports

Reste que Golden State tente beaucoup de nouvelles choses et, très vite, les dirigeants sont persuadés de voir des résultats. Joe Lacob estime que ces outils ont permis aux Warriors d’améliorer leur défense sur les tirs à trois points adverse. En 2015, lors de leur premier titre, les Warriors mettent parfois leurs deux stars Stephen Curry et Klay Thompson sur le banc parce que leurs outils assurent qu’ils s’approchent de blessures ou de baisses de performances potentielles. Quand est arrivée l’heure des playoffs, tout le monde était prêt.

Cela passe aussi par l’arrivée d’un nouvel entraîneur. Steve Kerr – qui remplace Mark Jackson en 2014 – est bien plus ouvert aux chiffres et à une approche analytique du basket. Pourtant, Mark Jackson sortait d’une bonne saison, mais Joe Lacob ne voulait pas seulement d’une équipe capable d’aller en playoffs.

« Ce genre de tâtonnement avec le succès – remplacer un leader avec une vision limitée par un autre, plus à l’aise à l’idée d’aller plus loin – se produit rarement en sport. Mais dans le monde de l’investissement, ça se produit tout le temps. »

Un entraîneur ouvert

Comme Joe Lacob avant lui, Steve Kerr s’entoure d’« assistants ouverts, capables de s’adapter et avec qui il est agréable de travailler ». « Peu importe d’où vient l’idée. Tant qu’elle est bonne, on l’utilisera », résumait Steve Kerr, après le succès lors du quatrième match de la finale 2014, attribué à son coordinateur vidéo. Même certains joueurs aguerris, comme Shaun Livingstone n’en revenaient pas.

« J’ai joué dans neuf franchises différentes, et je n’ai jamais vu un truc pareil. Ce n’est même pas un assistant, c’est le coordinateur vidéo. Et Steve Kerr l’a écouté et a suivi ses conseils. Tous les ponts sont ouverts. C’est un forum d’idées. Une bonne idée peut sortir de n’importe où. Et cette façon de réfléchir doit venir d’en haut. »

La chance a eu aussi son rôle : celle d’avoir eu un Stephen Curry qui a évité les blessures et atteint tout le potentiel qu’on lui prêtait, celle d’avoir pu drafter un complément parfait à Curry en la personne de Thompson, en onzième position de la draft 2011, celle d’avoir assez d’argent disponible pour attirer Kevin Durant, en 2016, grâce à un Curry alors sous-payé et un afflux d’argent soudain grâce à la revalorisation des droits télévisés.

« Nous sommes à des années-lumière des autres équipes. Les autres équipes vont devoir faire avec nous pendant un long moment », affirmait Joe Lacob en 2015. Vision confirmée aujourd’hui : les Warriors n’ont plus quitté les finales depuis.