Stéphane Travert, le ministre de l’agriculture, le 30 mai à l’Assemblée nationale. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Editorial du « Monde ». Deux poids et deux mesures : ainsi peut se résumer le projet de loi agriculture et alimentation adopté en première lecture par l’Assemblée nationale mercredi 30 mai. D’un côté, un volet économique destiné à rééquilibrer le rapport des forces entre les agriculteurs et la grande distribution, afin d’assurer au monde agricole des revenus décents. D’un autre côté, un volet sanitaire et environnemental, visant notamment à promouvoir une alimentation plus saine et des modes de production plus respectueux des attentes et des inquiétudes des consommateurs.

Or, si le texte adopté par les députés a, peu ou prou, répondu aux revendications des agriculteurs (et notamment de leur principal syndicat, la FNSEA), il est manifeste qu’il est d’une extrême frilosité sur le volet environnemental. En effet, les parlementaires ont fait preuve d’une complaisance inédite pour les intérêts économiques de l’agroalimentaire et d’une surdité tout aussi remarquable aux revendications de la société civile.

Une forêt de renoncements

Le rejet de plusieurs amendements gravant dans la loi l’engagement présidentiel d’interdire l’usage du glyphosate, cet herbicide soupçonné d’avoir des effets cancérigènes, d’ici à 2021 est le signe le plus spectaculaire de cette pusillanimité. Mais il n’est que l’arbre qui cache une forêt de renoncements.

L’interdiction de diffuser des publicités pour l’alimentation transformée, facteur d’obésité chez les enfants ? Rejetée. L’interdiction des élevages hors sol de poules pondeuses en cage, autre promesse de campagne d’Emmanuel Macron ? Rejetée. L’interdiction des pratiques brutales dans la production animale, la castration à vif, le broyage de poussins vivants ? Rejetée. La vidéosurveillance obligatoire dans les abattoirs, qui permettrait de protéger autant les personnels, soumis à des cadences intenables, que les animaux ? Renvoyée à des expérimentations. Même l’interdiction des épandages de pesticides à proximité des lieux de vie a été écartée. Tout comme le projet d’établir, sur un autre dossier, un Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Même l’interdiction de l’épandage aérien des pesticides est remise en cause – au mépris du droit européen.

Les artisans du projet de loi peuvent mettre en avant quelques avancées, comme la séparation des activités de vente de pesticides et de conseil technique sur leurs usages, ou la libre commercialisation des semences paysannes. Mais celles-ci pèsent bien peu face au manque d’ambition général du texte.

Pourtant, les alertes des scientifiques se multiplient, qui dénoncent le modèle agricole dominant comme un facteur majeur d’érosion de la biodiversité, de dégradation de l’environnement et de l’émergence de sérieux problèmes sanitaires. Le gouvernement et le Parlement n’en ont cure, à l’évidence. Or c’est, précisément, ce modèle qui a contribué à décourager les agriculteurs, à vider les campagnes et à dévitaliser les territoires.

Les lobbys de l’agro-industrie ont donc, jusqu’à présent, très efficacement défendu leurs intérêts. Leur succès entérine, en quelque sorte, la défaite de Nicolas Hulot, ministre d’une transition écologique et solidaire de plus en plus évanescente. Mais il témoigne aussi du grand écart entre les déclarations du président de la République (du tonitruant « Make Our Planet Great Again » au cri d’alarme lancé, le 24 mars, sur l’érosion catastrophique de la biodiversité) et la politique effective du gouvernement.