L’aéroport désert d’Hamad, près de Doha, en juin 2017. / Deepa Babington / REUTERS

Le blocus imposé au Qatar par ses voisins depuis un an n’entrave pas seulement les flux de marchandises. Il bloque aussi les déplacements des personnes. Si l’économie de l’émirat est parvenue à contourner ces restrictions en quelques mois, sa société, en revanche, peine à s’adapter. « Tous les indicateurs seraient au vert si je n’avais pas trois sœurs, vivant aux Emirats arabes unis [EAU] et à qui je ne peux pas rendre visite depuis un an », maugrée Rachid Ben Ali Al-Mansouri, le patron de la Bourse de Doha.

A la date du 5 juin 2017, point de départ de la crise, 13 000 ressortissants des Etats membres du front anti-Doha (Arabie saoudite, EAU, Bahreïn et Egypte) vivaient au Qatar et 2 000 citoyens qataris résidaient dans ces pays. Du jour au lendemain, sur ordre du quatuor anti-Doha, la plupart de ces personnes ont été obligées de faire leurs valises et de retourner dans leur pays d’origine, avec des conséquences parfois lourdes.

Près de 550 étudiants qataris inscrits dans des établissements à l’étranger ont dû interrompre leur cursus. Des universités émiraties et égyptiennes ont interdit à certains de récupérer leurs relevés de notes, compliquant ainsi la reprise de leurs études au Qatar. A la fin de l’année dernière, les autorités de Doha avaient aussi recensé 1 900 personnes ayant perdu un emploi ou une source de revenu du fait de leur expulsion.

« Pressions »

Mais c’est surtout pour les familles mixtes que la situation est la plus compliquée. De mère qatarie et de père bahreïni, Rashed Al-Jalahma, un étudiant de 23 ans, vit à Doha comme simple résident, les mères ne pouvant pas transmettre leur nationalité dans la quasi-totalité du monde arabe. « Quand la crise a éclaté, j’ai refusé de partir à Bahreïn, où mon père réside et dont je suis citoyen, dit-il. En dépit des pressions que j’ai subies, j’ai préféré rester au Qatar où j’ai passé l’essentiel de mon existence. Mon passeport expire l’année prochaine. J’ai peur de ne pas parvenir à le renouveler et de me retrouver apatride. »

Selon une étude de l’université du Qatar, les trois quarts des foyers du pays ont au moins un parent de nationalité saoudienne, émiratie ou bahreïnie. Les frontières des principautés du Golfe n’ayant été délimitées qu’au début des années 1970 et la rudesse de la vie, avant la révolution du pétrole, obligeant à se déplacer fréquemment, les grandes tribus ont essaimé dans toute la péninsule.

« Ces connexions entre familles, à cheval sur les frontières, ont longtemps été une source de fierté dans le Golfe, explique Majed Al-Ansari, sociologue à l’université du Qatar. Mais avec la crise, malheureusement, de nombreuses familles se retrouvent écartelées. Le tissu social du Golfe est en train d’être déchiré. »