Comité d’éthique : « Il n’y a pas de consensus sur la procréation médicalement assistée »
Comité d’éthique : « Il n’y a pas de consensus sur la procréation médicalement assistée »
Propos recueillis par Gaëlle Dupont
Le président du CCNE livre les premiers enseignements des états généraux de la bioéthique, dont le compte rendu est publié mardi.
Le président du Comité consultatif national d’éthique, Jean-François Delfraissy, livre pour Le Monde les premiers enseignements des états généraux de la bioéthique, dont le compte rendu est publié mardi 5 juin. Il observe que « des opinions divergentes se sont exprimées » sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes.
Une opinion majoritaire se dégage-t-elle sur les sujets de bioéthique à l’issue de ces états généraux ?
Jean-François Delfraissy : Certaines valeurs sont très majoritairement partagées, en particulier l’attachement à l’autonomie des personnes et à la non-commercialisation du corps humain. Cette dernière a toujours existé fortement en France et cela continue, contrairement à d’autres régions du monde où elle est remise en cause. En parallèle, nous voyons émerger une certaine défiance vis-à-vis des scientifiques et même des médecins, qui étaient jusqu’à présent épargnés. Il y a une interrogation sur leur capacité à maîtriser les outils qu’ils créent et mettent en œuvre. La question de la place du citoyen dans le système de santé et dans la médecine du futur a également été posée fortement, alors que le sujet n’était pas à l’agenda des états généraux.
Les débats se sont focalisés sur la question de la procréation. Y a-t-il un consensus sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, souhaité par Emmanuel Macron pour légiférer sur le sujet ?
Non, il n’y a pas consensus. Des opinions divergentes se sont exprimées. Mais, sur la question de la procréation, d’autres thématiques ont émergé, comme l’accès aux origines des enfants conçus par procréation médicalement assistée avec don de gamètes. Face au dogme de l’anonymat des donneurs, une revendication forte en faveur de l’autonomie de l’individu et de l’accès au père biologique se fait entendre. De plus, des innovations technologiques, comme les grandes bases de données génomiques qui permettent de retrouver des parents biologiques, rendent ce dogme obsolète. L’autre sujet est celui de l’autoconservation des ovocytes [congélation des ovules en vue d’une grossesse ultérieure], pour laquelle il y a également une demande et qui doit susciter la réflexion.
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a déjà dit que la question de la fin de vie ne figurerait pas dans la future loi de bioéthique. Les Français sont-ils en attente d’une évolution de la législation ?
Il existe un socle d’opinions partagées. Tout d’abord, on ne meurt pas dans de bonnes conditions en France. Il y a également une interrogation sur la qualité de vie dans les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Ensuite, la loi Claeys-Leonetti n’est pas connue et pas appliquée. Enfin, les moyens accordés aux soins palliatifs sont insuffisants pour répondre aux besoins. Au-delà, il y a désaccord entre ceux qui veulent conserver la législation actuelle et ceux qui veulent aller plus loin. On sait que cela ne sera pas débattu dans le cadre de la loi de bioéthique, mais un autre véhicule législatif pourrait être utilisé.
La synthèse publiée aujourd’hui, qui doit éclairer le gouvernement et le Parlement, reflète-t-elle l’opinion du pays ?
Notre objectif a été de retranscrire de façon neutre ce que nous avons entendu de la part de ceux qui ont participé aux états généraux. Nous ne pouvons pas dire qu’elle reflète le sentiment général des Français. Mais je pense que l’exercice a été un succès. La participation a été importante. Il y a eu 270 débats en région, 150 auditions, 65 000 contributions sur le site Internet. Un véritable exercice de démocratie sanitaire a eu lieu. Un tiers des débats ont réuni des jeunes, ce qui est important, car la réflexion d’aujourd’hui dessine l’avenir.
Mais il y a eu des limites. Nous ne voulions pas que le débat se passe entre « sachants ». Ce n’est réussi qu’en partie. Beaucoup de participants, sans être des experts, s’intéressaient déjà aux sujets de bioéthique. Deuxième écueil : sur certains sujets, des positions militantes se sont exprimées. Sur la question de la procréation, elles se sont faites majoritaires. Notre synthèse ne reflète pas l’importance numérique dans l’expression de telle ou telle opinion. Ce n’est pas un sondage, mais des grandes leçons tirées de chacune des questions posées dans le cadre de ces états généraux.