Le docteur Reid a une méthode bien à lui de pratiquer la saignée. / Focus

Les jeux du studio français Dontnod se suivent, et ne se ressemblent définitivement pas : après le futuriste et dystopique Remember Me (2013) et le très contemporain Life Is Strange (2015), c’est désormais dans un cadre plus rétro que s’inscrit leur nouveau titre, disponible mardi 5 juin.

Vampyr prend ainsi place dans les ruelles sombres d’un Londres historique triplement ravagé. Par la première guerre mondiale tout d’abord, qui vient de s’achever et qui en a vidé les rues. Par la grippe espagnole ensuite, qui en a rempli les hôpitaux. Par une étrange malédiction venue des Carpates enfin, qui fait pousser les canines de quelques Britanniques devenus immortels et assoiffés de sang.

Bénédiction et malédiction

A l’image de ce Londres peu riant, le docteur Jonathan Reid a lui-même de quoi s’inquiéter. La nuit où il se réveille au milieu d’un charnier et que, pour étancher sa soif, il vide de son sang un être cher, il décide de mettre de l’ordre dans sa vie.

En commençant par chercher la réponse à cette question lancinante : qui est responsable de sa transformation en vampire, bénédiction autant que malédiction, qui lui confère une force surhumaine mais une sensibilité excessive à la lumière du soleil ou au clinquant des églises ?

Pour cela, le docteur Reid va parcourir le quartier de l’hôpital, où il ne tarde pas à s’installer, puis les autres rues de Londres, qui vont progressivement s’ouvrir. Oh, rien de démesuré non plus : ne vous attendez pas à un GTA de l’entre-deux-guerres. Londres ressemble ici à un labyrinthe à ciel ouvert d’où ne se détachent que peu de lieux marquants, et dans lequel on va multiplier un nombre d’allers-retours tout à fait déraisonnable.

Les combats consistent rapidement à alterner toujours les trois mêmes coups. / Focus

Répétitif

La piste de son géniteur, Reid va la remonter à coups de poings et de crocs, tuant, assommant, vidant de leur sang les chasseurs de vampires et les autres monstres qui peuplent les rues de Londres. Ce n’est pas la plus grande réussite du jeu : très nombreux, assez monotones, les affrontements se suivent et se ressemblent.

Le joueur est invité à améliorer ses armes, à les choisir en fonction de leurs effets. Certaines entament la jauge de vie, d’autres celle d’endurance qui, si elle tombe à zéro, offre à nos canines les nuques sans défense de leurs propriétaires sonnés. En les mordant, on remplit une jauge spéciale qui permet, elle, de déchaîner des coups spéciaux.

Sur le papier, les approches sont donc multiples. Dans la pratique, on se retrouve vite à répéter la même technique en boucle, martelant les mêmes boutons devant des ennemis toujours très semblables.

Choyer pour mieux tuer

L’intérêt de Vampyr n’est donc pas dans son univers un peu daté ni dans ses combats trop mous. La grande idée de Dontnod, c’est de donner corps à ses personnages. La ville a beau être dépeuplée, chacun des soixante Londoniens qui ose encore parcourir ses rues a une personnalité propre.

Chacun a un nom, une histoire et des secrets. Parfois il est malade, et ne cracherait pas sur un des remèdes que le doc Reid sait concocter. Ces personnages racontent leur vie, racontent leur Londres, se confient, se détendent, relaient des rumeurs, balancent des infos sur leurs petits copains, qui permettent peu à peu de mieux cerner cette curieuse population de somnambules.

C’est le ressort le plus original du jeu : veiller à la santé de ces personnes et apprendre à les connaître améliore la qualité de leur sang. Le docteur peut donc les couver, les choyer, en attendant le moment propice… pour les tuer. Alors, en fonction de la qualité de leur sang, la mort de ces innocents rapportera plus ou moins de points d’expérience à Reid, le rendant ensuite beaucoup plus efficace en combat.

Les joueurs pracifiques ignoreront les malades, ceux sans scrupule devront prendre garde à les soigner : c’est le paradoxe de « Vampyr ». / Focus

Nuque potelée

Depuis le début de l’histoire du jeu vidéo, personne ou presque n’a réussi cet exploit : donner de la valeur à une vie humaine virtuelle. La tentative de Dontnod est redoutable d’intelligence : d’un côté, on en vient à hésiter à tuer un personnage fait de pixels parce qu’on a appris à le connaître. De l’autre, on est sévèrement tenté d’en sucer la dernière goutte de sang parce qu’on sait que lui ôter la vie rapportera 1 000 fois plus de points d’expérience que de prendre celle d’un vulgaire méchant anonyme.

L’autre gimmick malin de Vampyr, c’est de donner au joueur l’impression de savoir réagir à tous ses coups de tête. La nuque potelée (et les points d’expérience qui vont avec) de tel docteur, de telle syndicaliste, de tel prêtre, vous fait de l’œil ? Libre à vous de la croquer, mais gare aux conséquences : ce sont autant de quêtes qui s’éteindront avec votre victime, et tout un quartier, si vous n’y prenez pas garde, qui risque à terme de sombrer dans le chaos.

Irréconciliables

Sauf que cette belle idée est exploitée totalement de travers. Jamais les motivations du personnage (et du joueur) ne se traduisent de façon crédible en jeu. Ainsi, celui qui voudra incarner un vampire juste et humain, qui n’aurait pas perdu de vue son passé de docteur, puisqu’il refusera de les tuer, ne gagnera rien à s’intéresser à ses patients. Il n’aura donc rien d’autre à faire dans le jeu qu’à enchaîner des combats rendus plus pénibles encore parce qu’il s’est privé, en refusant de tuer des innocents, des précieux points d’expérience que leur mort aurait pu rapporter.

A l’inverse, celui qui souhaitera incarner un vampire sans pitié, un tueur sans foi ni loi, sera obligé pour gagner en puissance de passer un temps fou à discuter avec les Londoniens, de leur rendre de menus services, de leur concocter médicaments anti-rhume et autres remèdes de grand-mère

En fait, là où les jeux de rôle traditionnels proposent en général d’opter au choix pour la méthode douce (le dialogue) ou la méthode forte (les combats), Vampyr, lui, s’emmêle les pinceaux et neutralise ces deux options plutôt que d’en faire deux approches valables.

Devant l’impossibilité de se projeter dans la peau d’un personnage aux motivations aussi irréconciliables, le joueur se retrouve obligé de se raccrocher à l’exploration d’un univers un peu fade, et d’y enchaîner les combats un peu mou. Ce n’est pas déplaisant, mais on le devine, les motivations de Dontnod étaient tout autres.

Vampyr - First Gameplay Trailer | PS4
Durée : 14:32

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • un univers habité, crédible, avec une réelle épaisseur
  • la solution élégante de Dontnod pour donner de la valeur à des vies de pixels
  • le Londres de l’immédiate après première guerre mondiale, rarement exploré

On n’a pas aimé :

  • une dissonance certaine entre les ambitions du personnage et les moyens de les satisfaire
  • la ville labyrinthique et peu intéressante
  • les combats mous et répétitifs

C’est pour vous si :

  • vous prendriez bien un petit jus de groseille
  • vous ne dites pas non à un bloody mary
  • vous êtes plus ketchup que mayo

Ce n’est pas pour vous si :

  • vous avez peur des piqûres
  • vous avez une dent contre les jeux de combat
  • votre sang ne fait qu’un tour à l’idée de jouer à un jeu si bavard

La note de Pixels

3 litres de sang sucés sur 5