Coupe du monde 2018 : Racisme et homophobie, les deux maux du football russe
Coupe du monde 2018 : Racisme et homophobie, les deux maux du football russe
Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Dans les stades russes, les actes d’agressions physiques et les bannières néonazies ont quasiment disparu. Elles ont laissé la place aux chants racistes et homophobes.
Certains clubs de supporteurs russes n’ont pas bonne réputation. Il suffit pour s’en convaincre de naviguer sur Internet : scènes de bagarres et attributs néonazis y abondent. « Souvent les fans se disent apolitiques, mais les liaisons entre le football et l’extrême droite sont poreuses, relève Natalia Ioudina, experte du Centre Sova, établi à Moscou et spécialisé dans l’étude des phénomènes xénophobes en Russie. Ils ont des groupes fermés sur les réseaux sociaux, dans lesquels il est très difficile d’entrer, poursuit-elle, car si auparavant ils se vantaient, aujourd’hui ils ont peur. »
L’étude, menée conjointement par Sova et le réseau Football Against Racism in Europe (FARE) publiée le 30 mai, l’atteste : sur la dernière saison juin 2017-mai 2018, les actes d’agressions physiques ont quasiment disparu, les bannières sulfureuses aussi. « Nous n’avons constaté aucune bannière portant la croix celtique, précise l’étude, quand bien même, ce symbole néonazi reste populaire parmi les fans et est encore, par exemple, largement visible dans les graffitis. »
Chants racistes et homophobes
Les chants racistes ou homophobes, eux, sont en nette hausse. Dix-neuf incidents de ce type ont été enregistrés par Sova-FARE, contre deux lors de la saison précédente. « Les clubs ne laissent plus passer les banderoles, mais les insultes, les cris sont beaucoup plus difficiles à contrôler », souligne Natalia Ioudina.
Unique en son genre, l’association des fans contre le racisme du club moscovite CSKA multiplie également les initiatives pour sensibiliser son public. « Nous avons commencé en septembre 2014 après un match à Rome comptant pour la Ligue des champions où un groupe de nos supporteurs s’est battu avec tout le monde, et portait des bannières néonazies. Pour moi, ça a été un point de non-retour », commente Robert Ustian, coordinateur. Cet ancien tradeur de 34 ans, fan du CSKA depuis l’âge de 9 ans, veut rétablir la réputation du club, dont les supporteurs affichaient, il y a encore cinq ans, un drapeau sur lequel figurait « un char de la Waffen-SS ». « Comment est-ce possible pour les petits-fils de ceux qui ont combattu l’armée d’Hitler ? », s’offusque-t-il.
« Quand on vend un billet d’accès au stade, on remet un tract contre les discriminations, poursuit Robert Ustian. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que cela prendra un peu de temps, mais notre mission, c’est que tous les autres supporteurs qui n’ont rien à voir avec cet extrémisme exercent une pression sur eux et, goutte à goutte, notre message passe. » Motivé, il concède cependant que la sensibilisation s’avère plus délicate encore sur l’homophobie et s’inquiète des réactions que pourrait engendrer dans les stades du Mondial l’éventuelle présence de drapeaux gays arc-en-ciel. « Cette Coupe du monde est un défi pour toute la société russe, peut-être la chose la plus importante des quinze ou vingt dernières années. »
Après avoir longtemps ignoré le problème, les autorités russes ont réagi à l’approche du Mondial en nommant l’ancien milieu de terrain international Alexeï Smertine délégué à la lutte contre le racisme et les discriminations dans le football. Lors des matchs, l’attitude du public sera ainsi scrutée à la loupe.