Politique sociale d’Emmanuel Macron : du bon usage du « pognon »
Politique sociale d’Emmanuel Macron : du bon usage du « pognon »
Editorial. Après avoir diffusé une vidéo dans laquelle il affirme qu’« on met un pognon de dingue dans les minimas sociaux », le chef de l’Etat a précisé, jeudi à Montpellier, les grandes lignes de « son » modèle social.
Editorial du « Monde ». Objet social non identifié ? Avatar du libéralisme anglo-saxon, où la responsabilité individuelle prend le pas sur les solidarités collectives ? Le « social-macronisme » peu à peu se dévoile. Mercredi 13 juin, devant le congrès de la Mutualité française à Montpellier, Emmanuel Macron s’est déclaré « fier » du système de protection sociale à la française – « qui nous honore » – tout en prônant une « révolution profonde » à travers sa « refondation radicale ». La veille, dans une vidéo mise en scène par l’Elysée sur les réseaux sociaux, le président de la République s’était lâché : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux, et les gens sont quand même pauvres. On n’en sort pas. » En incriminant, dans une formule particulièrement maladroite, ce « pognon de dingue » – 25,4 milliards d’euros en 2015 –, il a donné l’impression de vouloir faire table rase de notre modèle social.
A Montpellier, le chef de l’Etat a rectifié un peu le tir et, en même temps, a sonné la charge. Reconnaissant en creux que le modèle social a permis – avec un « dernier filet de protection indispensable » qu’il s’est engagé à maintenir – d’amortir le choc de la crise, il a de nouveau invité « ceux qui réussissent », les riches, à « regarder ceux qui sont laissés au bord de la route ». Il a surtout confirmé l’instauration, longtemps différée, d’un « reste à charge zéro » pour les soins dentaires, auditifs et optiques, qu’il a présentée, à juste titre, comme « une conquête sociale essentielle ». Il a aussi promis une loi sur la dépendance en 2019.
« Logique de guichet »
Ces annonces présidentielles risquent de rester inaudibles, effacées par les critiques contre l’Etat-providence coupable d’avoir privilégié des « droits formels » sans se « soucier assez de faire qu’ils soient des droits réels pour chacun ». « Nous devons bâtir pour le XXIe siècle un Etat-providence de la dignité et de l’émancipation », a affirmé M. Macron. Dénonçant la « redistribution monétaire, forcément toujours insuffisante », il a repris une thématique chère à Dominique Strauss-Kahn, l’ancien ministre socialiste, en estimant que « s’attaquer aux inégalités, c’est s’attaquer à leurs racines ». Le président a plaidé pour « un système qui rende les droits effectifs et concrets pour tous nos concitoyens ». N’hésitant pas à se référer au Conseil national de la Résistance, il a lancé : « Je préférerai toujours la justice sociale effective aux incantations, et l’efficacité au fétichisme. »
M. Macron veut refonder la protection sociale à partir de trois principes : la prévention, « qui attaque les inégalités avant qu’il ne soit trop tard » ; l’universalité, « qui donne les mêmes droits à chacun » ; le travail, comme « clé de l’émancipation ». « La solution, a-t-il martelé, n’est pas de dépenser toujours plus d’argent ou de considérer qu’il y aurait, d’un côté, ceux qui croient dans la transformation sociale et qui aligneraient les lignes de crédit, et ceux qui n’y croient pas et qui seraient forcément pour en réduire les dépenses. » Le « social-macronisme » est l’ennemi de la « logique de guichet ». Son constat sur les limites de l’Etat-providence, voire ses échecs, est largement partagé. C’est sur les remèdes pour le réinventer que les avis divergent. M. Macron aura l’occasion de passer à l’acte, avec sa stratégie contre la pauvreté, en juillet. Garant de la cohésion sociale, l’Etat ne devra pas rester au bord de la route.