La chancelière allemande, Angela Merkel, et son ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, à Berlin, le 20 juin. / HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

Décidément, Horst Seehofer n’est jamais content. Cette fois, c’est l’accord donné par Angela Merkel à Emmanuel Macron sur la création d’un budget de la zone euro encore embryonnaire qui met hors de lui le ministre allemand de l’intérieur. « Ce n’est pas correct de prendre des décisions aussi importantes sans y associer la CSU. Ça ne va pas », s’est emporté celui qui est aussi le président de l’Union chrétienne-sociale (CSU), mercredi 20 juin, au lendemain du sommet-franco allemand de Meseberg.

Trois mois après avoir été nommé ministre de l’intérieur, Horst Seehofer est devenu, pour Mme Merkel, un véritable ennemi de l’intérieur. En Allemagne, le feuilleton de leur discorde écrase tout le reste de l’actualité politique. Personne, à vrai dire, ne sait où tout cela peut conduire. Pour l’instant, le ministre menace et la chancelière encaisse. Mais leur duel est devenu si violent qu’il est difficile d’imaginer un tel duo cohabiter durablement dans le même gouvernement.

Pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui entre ces deux animaux politiques qui se pratiquent depuis une vingtaine d’années avec des hauts et des bas, mais surtout des bas ces derniers temps, il faut remonter aux élections législatives du 24 septembre 2017. Ce jour-là, les conservateurs sont sous le choc. A l’échelle nationale, la CDU-CSU arrive certes en tête, mais avec 32,9 % des voix, son plus mauvais résultat depuis le début des années 1950. A l’échelle de la Bavière, où la CDU, le parti de Mme Merkel, n’existe pas, son allié historique, la CSU, plafonne à 38,8 %. Une douche froide, 10,5 points de moins qu’en 2013 quand, à l’échelle nationale, le recul de la CDU-CSU n’est « que » de 7,5 %.

Pour Horst Seehofer, ce mauvais score n’a qu’une explication : la politique d’accueil décidée par Angela Merkel lors de la crise des réfugiés de 2015. Aux yeux du président de la CSU, son parti paie le fait de ne pas avoir suffisamment pesé sur la politique de Mme Merkel. En colère contre une chancelière trop centriste, une partie de l’électorat traditionnel de la CSU a donc préféré, cette fois, voter pour le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Ce 24 septembre 2017, c’est d’ailleurs en Bavière que l’AfD a obtenu son meilleur résultat de toute l’ex-Allemagne de l’Ouest : 12,6 % des voix.

Sursis

Depuis ce traumatisme électoral, Horst Seehofer se sait en sursis. A Munich, il a été poussé vers la sortie du gouvernement de Bavière, qu’il dirigeait depuis 2008, au profit de son rival Markus Söder, de dix-huit ans son cadet et qui, depuis le ministère régional des finances qu’il occupait depuis 2013, piaffait de lui succéder. Mais après ce revers électoral, Horst Seehofer a tout de même réussi à conserver la présidence de la CSU. Jusqu’à quand ?

C’est en réalité toute la question. Et c’est ce qui explique, pour beaucoup, la nervosité actuelle de ce fils de conducteur de camion né en 1949 à Ingolstadt (entre Munich et Nuremberg), qui a consacré toute sa vie à la politique et qui craint de voir la fin de sa carrière approcher plus vite qu’il ne le souhaite. S’il veut rester président de la CSU, dont il est membre depuis 1971, Horst Seehofer sait en effet que celle-ci doit absolument remonter la pente aux élections régionales bavaroises du 14 octobre, par rapport au camouflet qu’elle a essuyé aux législatives de l’automne 2017. Car il le sait : si la CSU subit un nouveau revers, Markus Söder et ses amis, après l’avoir chassé du gouvernement régional, risquent de le détrôner cette fois de la tête du parti. Et dans ce cas, c’est aussi le ministère fédéral de l’intérieur qu’il devra sans doute abandonner.

Il sait qu’il ne lui sera pas pardonné de n’exercer que le ministère de la parole

Conscient de la précarité de sa situation, Horst Seehofer est donc parti en croisade contre Mme Merkel, bien décidé à ne pas répéter son erreur du passé. De 2015 à 2017, depuis Munich, il était déjà un contempteur acharné de sa politique migratoire. Mais il n’avait pas pesé suffisamment sur sa politique, et c’est ce que les électeurs lui ont fait payer. Cette fois, au cœur du pouvoir à Berlin, il sait qu’il ne lui sera pas pardonné de n’exercer que le ministère de la parole. Alors il veut montrer qu’il agit. Et qu’il ne se contente pas de critiquer.

« Révolution conservatrice »

Cela a commencé dès sa nomination. A la fin des interminables tractations qui ont précédé la formation du nouveau gouvernement, Horst Seehofer a obtenu que la CSU hérite du ministère de l’intérieur, détenu par la CDU dans la précédente législature. Mieux, il a élargi le périmètre du ministère, qui intègre désormais le secteur de la construction et auquel est maintenant accolé le mot « Heimat », un terme intraduisible en français mais qui désigne le « chez soi », le « pays », au sens affectif du terme. En découvrant l’intitulé du nouveau ministère, les réseaux sociaux se sont échauffés et les journalistes se sont interrogés sur les intentions du nouveau ministre, d’autant plus que l’un de ses fidèles, Alexander Dobrindt, chef de file des députés CSU au Bundestag, venait un peu plus tôt de prôner l’avènement d’une « révolution conservatrice », vieille marotte de l’extrême droite allemande depuis l’entre-deux-guerres.

Un véritable empire, avec pas moins de huit secrétaires d’Etat à ses côtés

Mais Horst Seehofer ne s’est pas contenté de son super ministère. Contrairement à ce qui était le cas quand il était ministre de la santé d’Helmut Kohl (1992-1998) ou ministre de la santé et de l’alimentation d’Angela Merkel (2005-2008), il s’est, cette fois, taillé un véritable empire, avec pas moins de huit secrétaires d’Etat à ses côtés (tous des hommes). Un record dans ce gouvernement. Soucieux d’imprimer sa marque sans tarder, il n’a par ailleurs pas attendu longtemps avant de se faire remarquer.

Deux jours après sa nomination, il donnait sa première interview au quotidien Bild, et y déclarait :

« L’islam ne fait pas partie de l’Allemagne. L’Allemagne est marquée par le christianisme. Le dimanche chômé, les jours fériés chrétiens et les rituels comme Pâques, la Pentecôte ou Noël, eux, en font partie. »

Quelques heures plus tard, Angela Merkel lui donnait la réplique lors d’un point presse organisé à la chancellerie à l’occasion de la venue du premier ministre suédois à Berlin :

« Quatre millions de musulmans vivent en Allemagne. Ils font partie de l’Allemagne, et leur religion, l’islam, fait partie de l’Allemagne tout autant qu’eux. »

A vrai dire, leur désaccord était connu. Dans le passé, ils avaient déjà tenu – au mot près – les mêmes propos sur l’islam. Seulement, l’une était chancelière et l’autre ministre-président de Bavière, ce qui ne faisait pas de la première la « patronne » du second. Avec cette interview, Horst Seehofer entendait montrer qu’en devenant ministre de Mme Merkel, il n’entendait en rien renoncer à sa liberté de parole.

Insubordination

Depuis, l’encombrant ministre n’a cessé de pousser un peu plus loin les frontières de l’insubordination. Le 13 juin, plutôt que de se rendre au sommet annuel sur l’intégration présidé par Mme Merkel et auquel ses prédécesseurs ont toujours participé, il a ainsi préféré s’afficher aux côtés de Sebastian Kurz, le jeune chancelier conservateur autrichien à la tête d’une coalition avec l’extrême droite, qui était de passage à Berlin.

Cinq jours plus tard, nouvel affront : au moment même où la chancelière, depuis Berlin, organisait une conférence de presse pour expliquer son intention de trouver une « solution européenne » à la crise migratoire, lui-même expliquait, depuis Munich, que si aucun résultat n’était trouvé d’ici à début juillet, il appliquerait de lui-même une mesure que Mme Merkel ne souhaite pas que l’Allemagne prenne sans concertation avec ses partenaires : l’expulsion de tous les demandeurs d’asile déjà enregistrés dans un autre pays européen.

Que cherche en réalité M. Seehofer ? Ira-t-il jusqu’à la rupture avec Mme Merkel ? A vrai dire, nul ne le sait, et même si les observateurs avisés de la vie politique allemande rappellent volontiers que le chef de la CSU a toujours procédé ainsi avec la présidente de la CDU, faisant monter les enchères afin d’obtenir d’elle de petites concessions pour finir par rentrer dans le rang, tous admettent que le bras de fer auquel ils se livrent aujourd’hui, sans précédent, ne permet pas d’affirmer à coup sûr que l’histoire se répètera.

D’ailleurs, Horst Seehofer sait-il lui-même ce qu’il veut ? Dimanche 17 juin, le quotidien Die Welt rapportait des propos qu’il aurait tenus, trois jours plus tôt, en présence de quelques dirigeants de la CSU : « Je ne peux plus travailler avec cette femme », leur aurait-il assuré. Le jour où paraissait l’article, l’intéressé assurait pourtant tout le contraire dans une interview à Bild : « Personne, à la CSU, n’a intérêt à renverser la chancelière, à rompre l’alliance historique qui existe entre la CDU et la CSU [qui constituent un seul groupe au Bundestag], ni à faire éclater la coalition. »