Migrants : le navire « Lifeline », qui devait rejoindre Malte, reste bloqué en mer
Migrants : le navire « Lifeline », qui devait rejoindre Malte, reste bloqué en mer
Par Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)
Le navire humanitaire attendait toujours, mercredi matin, d’être autorisé à accoster, en l’absence du feu vert de certains pays européens pour accueillir les 233 migrants qu’il transporte à son bord depuis une semaine.
Sur le bateau « Lifeline », au large de Malte, lundi 25 juin. / FELIX WEISS / MISSION LIFELINE/ AFP
Plus de deux semaines après la décision italienne d’interdire l’accès de ses ports aux ONG opérant des secours de migrants en Méditerranée, la confusion reste totale dans le canal de Sicile. Les 234 migrants à bord du navire de l’organisation humanitaire allemande Lifeline, qui devaient rejoindre Malte pour y être débarqués au terme d’un accord avec divers pays européens – dont la France, qui s’est engagée à accueillir une partie des demandeurs d’asile –, restent bloqués en mer, dans des conditions de plus en plus difficiles.
Naviguant jusqu’ici dans les eaux internationales, le navire a été autorisé « à entrer dans les eaux maltaises pour se protéger du vent », a indiqué l’ONG mercredi matin. Le premier ministre maltais Joseph Muscat devait tenir une conférence de presse en fin de matinée. Le gouvernement maltais avait par ailleurs annoncé que si le Lifeline arrivait sur l’île, il enquêterait et prendrait des mesures contre le navire « qui a ignoré les instructions données conformément aux règles internationales par les autorités italiennes ».
Menacés de poursuites par le gouvernement italien, les membres de cette ONG allemande ont été attaqués de toutes parts ces derniers jours. Interrogé sur le sujet mardi, en marge de sa visite au Vatican, le président français, Emmanuel Macron, a vivement critiqué l’action de Lifeline, qui, selon lui, « fait le jeu des passeurs ». Un reproche « indicible dans l’émotion collective ».
Apparue à l’automne 2017, cette ONG allemande très militante s’est trouvée confrontée, dès sa première opération de secours, aux gardes-côtes libyens, qui, après un échange très tendu, sont même brièvement montés à bord de leur bateau. L’organisation est accusée de ne pas s’en tenir au code de conduite imposé aux ONG par le précédent ministre de l’intérieur italien, Marco Minniti.
De fait, l’opération au cours de laquelle le Lifeline a secouru les 234 migrants n’était pas diligentée par le Centre de coordination des recherches de Rome (MRCC), comme le prévoit la procédure ordinaire. « Le seul ordre auquel le bateau a refusé d’obéir est celui de remettre ces personnes aux prétendus garde-côtes libyens car cela aurait été en contravention avec la Convention de Genève sur les réfugiés et donc criminel, » a régi l’ONG dans un communiqué mercredi matin. Selon elle, obéir à l’ordre reçu de « désembarquer à Tripoli aurait constitué une violation du principe de non-refoulement ».
« Climat pas favorable aux ONG »
Dans le même temps, l’Aquarius, affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, qui demandait à s’arrêter à Malte le temps d’une pause technique après son passage forcé à Valence, s’est vu refuser, sans explication, l’autorisation de faire escale. Préférant éviter d’accoster à Catane, son port d’attache habituel, l’Aquarius a annoncé mardi qu’il devait se diriger vers Marseille, où il devrait arriver vendredi. « Le climat n’est pas du tout favorable aux ONG », a déclaré son directeur des opérations, Frédéric Penard, lors d’une conférence de presse.
Les autorités italiennes ont tout de même fini par accepter, lundi soir, que les 108 migrants secourus en mer par le porte-conteneurs Alexander-Maersk soient débarqués dans le port de Pozzallo (sud de la Sicile), après plusieurs jours d’atermoiements. Ce navire commercial danois, qui s’était dérouté, vendredi 22 juin, afin de porter assistance à des migrants en détresse sur les instructions du MRCC de Rome, en respectant donc parfaitement les procédures, aura dû patienter plus de quatre jours au large des côtes siciliennes avant d’être autorisé à accoster, démontrant bien malgré lui toute l’absurdité de la situation.
Bien sûr, le surcoût engendré par ces cinq journées perdues en mer sera sans doute couvert par les assurances, mais les navires commerciaux, très souvent mis à contribution depuis que la plupart des ONG ont été éloignées de la zone, supporteront-ils longtemps de se trouver pris en otage par les gesticulations du gouvernement italien ?
« Rhétorique de la torture »
Responsables des secours dans la zone du canal de Sicile, les autorités maritimes italiennes semblent vouloir tout mettre en œuvre pour se soustraire à leurs obligations. Le vice-premier ministre et ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite), l’a clairement affirmé lundi, à son retour de Libye, en déclarant dans une conférence de presse tenue au ministère de l’intérieur qu’il « donnerait son entier soutien » au ministre des transports, Danilo Toninelli (Mouvement 5 étoiles), autorité ayant théoriquement la tutelle sur les gardes-côtes, si celui-ci ordonnait de ne plus répondre aux SOS. Une menace difficile à mettre ouvertement à exécution, tant elle contrevient aux obligations les plus élémentaires du droit de la mer.
Plus crédible paraît, en revanche, l’intention, soutenue par l’ensemble des partenaires européens de l’Italie, d’accroître les moyens des gardes-côtes libyens afin de leur confier l’ensemble des opérations. Peut-on parler de « sauvetage en mer » s’agissant d’opérations dans lesquelles les candidats à l’exil, selon plusieurs témoignages, sont mis en joue, capturés puis ramenés dans des camps de détention, dans des conditions inhumaines, au mépris du droit de la mer qui commande de déposer les personnes secourues en mer dans un « port sûr » ?
Matteo Salvini évoquait, lundi, en marge de sa visite éclair à Tripoli, la possibilité d’implanter des camps européens sur le sol libyen – aussitôt écartée par le vice-premier ministre Ahmed Miitig –, afin de combattre la « rhétorique de la torture ». D’après les innombrables témoignages, les tortures, viols systématiques et exécutions auxquels sont confrontés les 300 000 à 700 000 personnes actuellement détenues en Libye semblent plus relever du crime contre l’humanité que de la « rhétorique ».