A Montreuil, « l’usine toxique » ne menacera plus les écoles
A Montreuil, « l’usine toxique » ne menacera plus les écoles
Par Stéphane Mandard
Après la mise en liquidation de la SNEM, les riverains et parents d’élèves ont remporté une victoire. Ils demandent désormais à Airbus et Safran de payer la dépollution.
L’usine SNEM à Montreuil. / MARTIN BUREAU / AFP
Après un an de mobilisation pour réclamer sa fermeture, les riverains de l’usine SNEM, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), ont remporté une première victoire. Elle est à l’arrêt depuis que le tribunal de commerce de Versailles a confirmé mercredi 27 juin sa mise en liquidation judiciaire. Implantée en pleine zone résidentielle, à quelques dizaines de mètres de plusieurs groupes scolaires, cette installation vétuste classée pour la protection de l’environnement (ICPE) suscitait une vive inquiétude depuis qu’un nouveau cas de leucémie (le troisième en quinze ans) avait été identifié chez un enfant, comme Le Monde l’avait révélé dans son édition du lundi 3 juillet 2017. Après l’avoir longtemps appelée « l’ usine verte » en référence à la couleur de la tôle de ses murs, les habitants de ce quartier de l’Est parisien l’avaient rebaptisée « l’usine toxique ».
Pour le compte des groupes aéronautiques Airbus et Safran, la SNEM a pendant des années traité des pièces métalliques d’A380, A350 ou A320 avec des procédés hautement toxiques. Tétrachloroéthylène, acide nitrique, acide sulfurique, acide fluorhydrique… selon les dernières données disponibles sur le Registre des émissions polluantes, la SNEM déclarait produire en 2015 plus de 37 tonnes de « déchets dangereux ». L’enquête du Monde a montré que les salariés continuaient à manipuler une substance particulièrement nocive : le chrome 6. Classé cancérogène, reprotoxique et mutagène, le règlement Reach en interdit définitivement l’usage dans l’Union européenne depuis septembre 2017 mais Safran et Airbus avaient obtenu une dérogation pour prolonger son utilisation.
Le collectif des parents d’élèves et des riverains se félicite de la fermeture de la SNEM. Il regrette cependant qu’elle n’ait pas été décidée pour « faire prévaloir le principe de précaution et le respect de l’environnement sur les intérêts industriels et financiers » mais « pour des raisons commerciales : l’abandon de la SNEM par ses donneurs d’ordre -Airbus et Safran- qui ont cessé de lui passer commande ». Un « abandon » que le collectif associe à la divulgation dans ses colonnes de pratiques frauduleuses dans le processus de contrôle des pièces traitées par la SNEM (Le Monde du 8 novembre 2017).
Les licenciements de la douzaine de salariés qui travaillaient encore sur place interviendront dans les prochains jours. Les habitants et la mairie de Montreuil demandent leur reclassement ainsi que la dépollution du site. En début d’année, le maire (PC) Patrice Bessac avait écrit à Airbus et Safran pour les « interpeller » sur la situation de l’usine. « Les deux groupes, en réponse à cette double interpellation, ont adressé une fin de non-recevoir sans assumer leurs responsabilités sociales et environnementales », déplore aujourd’hui l’équipe municipale.
« C’est à Airbus et à Safran de payer les coûts de la dépollution, estime Antoine Peugeot, du collectif des riverains et responsable local de la FCPE. On ne les lâchera pas ». Contacté, les deux groupes aéronautiques n’ont pas souhaité faire de commentaires. Les dirigeants de la SNEM restaient injoignables.
Les élus de Montreuil en appellent « à la responsabilité de l’Etat quant à la dépollution de ce site classé ICPE et donc placé sous sa compétence directe ». Premier effet de « l’affaire SNEM », le conseil municipal a inscrit fin 2017 dans le plan local d’urbanisme l’interdiction définitive d’installation de toute nouvelle ICPE sur le territoire de la commune.
La préfecture de Seine-Saint-Denis précise pour sa part que si les terrains étaient rachetés en vue d’une utilisation outre qu’industrielle, « il appartiendrait à l’aménageur de faire les éventuels travaux de dépollution supplémentaires permettant ce changement d’usage ». Elle précise qu’un diagnostic des sols réalisé par l’exploitant en janvier avait certes mis en évidence une pollution par des solvants chlorés et des métaux mais que le site était « compatible avec son usage actuel ».
La crainte du scénario Wipelec
La préfecture s’est toujours voulue rassurante dans ce dossier. Elle assure que sur la base d’une inspection effectuée le 26 juin, « le site ne présente pas de risque particulier ». Ce n’est pas l’avis des riverains. Une étude commanditée par la municipalité a montré un niveau élevé de contamination des sols, notamment au chrome 6 et étendue hors du site. Les habitants du quartier craignent désormais de vivre le même scénario que leurs voisins de Romainville où la société Wipelec a laissé derrière elle un site complètement souillé après la cessation de ses activités en 2003. Une crainte d’autant plus forte que Wipelec était également spécialisée dans les traitements de surfaces des métaux pour l’industrie aéronautique et avait le même donneur d’ordre, Safran. Les associations de riverains de Romainville ont décompté 23 cancers dont 21 décès depuis 1990. Elles déplorent que les travaux de dépollution n’aient commencé qu’en mai 2017. Et s’inquiètent aujourd’hui qu’ils génèrent un regain de pollution dans le quartier. Des niveaux de trichloroéthylène 140 fois supérieurs aux normes ont été mesurés dans certains logements.
A Montreuil, les parents d’élèves restent mobilisés pour la rentrée. Un nouveau collège doit ouvrir ses portes en septembre. Des études ont relevé la présence de solvants chlorés et de métaux lourds dans les sols. Des travaux de dépollution sont en cours. Le collège se situe à 150 mètres de « l’usine toxique ».