Coupe du monde 2018 : la prudence et le 4-4-2 comme valeurs refuges
Coupe du monde 2018 : la prudence et le 4-4-2 comme valeurs refuges
Marqué par une certaine frilosité tactique, le premier tour du Mondial a donné l’avantage aux défenses, d’où un grand nombre de buts sur coup de pied arrêté. L’analyse des « Cahiers du foot ».
France-Danemark a été le seul match nul 0-0 du premier tour de la Coupe du monde. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS
Trente-et-un ans après l’arrivée d’Arrigo Sacchi sur le banc de l’AC Milan, l’héritage de l’ancien vendeur de chaussures de Fusignano, petit village d’Emilie-Romagne, continue d’infuser dans les approches tactiques du Mondial russe.
Son inamovible 4-4-2, compact, avec une défense en zone intégrale et un pressing constant, s’élevait contre les normes en vigueur dans le calcio de l’époque. Sacchi l’animait avec des principes ambitieux, à rebours du sacro-saint contropiede (jeu de contre-attaque) réactif. « Dans dix, vingt, ou trente ans, on se souviendra de cette équipe qui jouait dans l’esprit. C’est son style conquérant, offensif que l’on gardera en mémoire », se vantait-il dans L’Équipe en 1990, à la veille de son deuxième sacre européen.
En 2018, l’AC Milan d’Arrigo Sacchi reste une référence d’organisation collective, et le Profeta di Fusignano a des disciples partout. Son 4-4-2 a certes perdu son statut de référence en phase offensive, se transformant désormais volontiers en 4-2-3-1. Mais sans le ballon, il reste la référence. Lors de ce premier tour, 55 des 92 compositions de départ (60 %) étaient organisées en 4-4-2 lors des phases défensives.
« Le 4-4-2 m’apparaît comme le plus souple pour qu’on l’adapte, ajoute Christian Gourcuff, grand disciple de Sacchi, dans le magazine Vestiaires en septembre 2009. Il favorise l’équilibre de l’équipe et permet une transition très rapide entre l [es] phase [s] défensive et offensive. C’est un système qui n’est pas figé, ouvert à tous les profils… » Et rationnel quant à l’occupation de la largeur et la gestion de la profondeur, à condition de respecter le principe de compacité du maître Sacchi : « Les Romains ont vaincu parce qu’ils étaient proches les uns des autres. C’est tout aussi essentiel dans le football. C’est fondamental. » C’est la base de la réussite de l’Atlético Madrid de Diego Simeone, meilleure équipe du continent sur le plan défensif.
Dans un football de sélection où le temps de préparation est limité, bien maîtriser des bases simples peut emmener loin, surtout si des individualités offensives fortes se chargent de la déstabilisation offensive. L’alignement en 4-4-2 en zone est l’une des bases de la formation tactique du jeune footballeur. Les mécanismes naturels de couverture sont censés compenser toute défaillance individuelle. Cette organisation devient une valeur refuge lorsqu’il s’agit d’associer des joueurs imprégnés de principes différents en club tout au long de la saison.
Les défenses à trois axiaux, pourtant plus répandues en clubs, dans le sillage du Chelsea d’Antonio Conte, champion d’Angleterre 2017, qui évoluait en 3-4-3, sont restées rares jusqu’ici. Seuls l’Angleterre et le Nigeria, en 3-5-2, ainsi que le Costa Rica et la Belgique, en 3-4-3, en ont fait leur système principal. Une Coupe du monde n’est plus un révélateur d’innovations tactiques de pointe.
Blocs médians plutôt que pressing haut
Deux facteurs expliquent la rareté du pressing haut, qui était un autre principe fort d’Arrigo Sacchi, mais qui fut pour ainsi dire absent de ce premier tour : la gestion des efforts à l’issue d’une saison dense et la nécessaire simplicité tactique. Le pressing haut nécessite des automatismes collectifs, l’intégration de déclencheurs repérés instinctivement par plusieurs joueurs, dont les réactions et décisions instantanées doivent être symbiotiques. Le temps de réflexion y est interdit, tout retard potentiellement fatal. Une course mal coordonnée, un soutien en deuxième rideau dans le mauvais timing et tout l’édifice défensif s’effondre, trop exposé. « Aucune équipe au monde n’est capable de rester bloc haut pendant quatre-vingt-dix minutes », soulignait Didier Deschamps avant d’affronter le Pérou.
La prudence et la quête perpétuelle d’un équilibre collectif poussent alors la majorité des sélectionneurs à adopter des blocs médians, avec une ligne de milieux au niveau du rond central et une pression sur le porteur de balle qui ne s’exerce qu’à partir de l’entrejeu ou sur le défenseur latéral. D’où, parfois, un déficit de rythme lors de certaines rencontres : chaque équipe laisse l’autre jouer dans les zones non dangereuses et, offensivement, n’ose pas risquer une erreur ou un déséquilibre fatals.
Que ce soit en 4-4-2 ou en 4-1-4-1, largement majoritaires, la priorité est d’empêcher le jeu dans l’axe du terrain. L’objectif est donc de le densifier, d’y couper les accès et d’orienter le jeu vers les ailes – d’où le poids important des latéraux. Une fois le ballon récupéré, l’idée est de faire la différence en profitant du désordre qui suit la perte ou la récupération du ballon. Problème : peu d’équipes se sont réellement découvertes, hormis l’Allemagne, qui l’a payé cher.
Axe densifié, créateurs isolés
Dans ce Mondial où les « petits » abandonnent sciemment le ballon pour ne pas se mettre en danger, la possession est moins choisie que subie. C’est alors que le manque d’idées collectives se fait ressentir, face à un adversaire qui renonce à la balle, suivant le précepte de José Mourinho : « On peut être en contrôle quand on n’a pas le ballon et en difficulté quand on a le ballon. » Face à ces blocs regroupés, certaines équipes ont semblé mieux armées que d’autres, à des degrés de régularité, d’intensité et de précision divers : citons le Mexique, l’Espagne, la Belgique, la Croatie et le Brésil.
Il est resté toutefois difficile pour les créateurs axiaux de s’ouvrir des espaces. Antoine Griezmann, Christian Eriksen, Lionel Messi et Mesut Özil ont, par exemple, été servis face au bloc adverse plutôt qu’en son sein. La faute, aussi, aux défenseurs centraux de leur propre équipe, pas toujours enclins à tenter la passe, risquée, qui casserait une ligne adverse. C’est l’une des lacunes de l’équipe de France dans cette configuration.
Ce rapport de force, qui tourne donc jusqu’ici à l’avantage des organisations défensives, n’est pas pour rien dans la manière dont les 122 buts ont été marqués jusqu’ici : 28 % sur phases arrêtées (bien plus que les 20 % de moyenne cette saison dans les cinq grands championnats européens), 43 % même, si l’on ajoute les 18 penalties. « Je pense que le football doit être un spectacle sportif, et que la beauté doit y avoir une place centrale », expose Arrigo Sacchi dans Les Entraîneurs révolutionnaires du football (de Raphaël Cosmidis, Christophe Kuchly et Julien Momont, éd. Solar, 2017). Pas sûr que, jusqu’ici, le maître italien ait souvent trouvé son compte lors de cette Coupe du monde.