Traversée du Pacifique Nord de Honolulu - Hawaï à Portland - Oregon à travers le Great Pacifique Garbage Patch.Jour 8 : Au milieu du Great Pacifique Garbage Patch, les concentrations de plastiques sont jusqu'à dix fois plus importantes que dans les endroits les plus contaminés de Méditerranée, une des mers les plus sales du Monde.Daniel Cron, second capitaine, pendant son quart. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR "LE MONDE"

Dixième jour de la navigation… L’océan, sans ride, et le vent, parti voir ailleurs si nous y étions, invitaient à se jeter à l’eau. Les macro-déchets -morceaux de cagette, bouées, pansements, gobelets ou sections de tuyaux- désormais croisés au rythme d’un ou deux toutes les 10 à 15 minutes, et les micro-plastiques qui se bousculent par centaines dans les filets collecteurs du bord insistaient.

A la latitude de San Francisco, à 930 milles des côtes (plus de 1 700 km), nous avons donc plongé à deux reprises ces dernières 48 heures dans le Great Pacific Garbage Patch, la « grande poubelle du pacifique », « la soupe », le « gyre », le « vortex » de plastique.

Traversée du Pacifique Nord de Honolulu - Hawaï à Portland - Oregon à travers le Great Pacifique Garbage Patch.Jour 8 : Au milieu du Great Pacifique Garbage Patch, les concentrations de plastiques sont jusqu'à dix fois plus importantes que dans les endroits les plus contaminés de Méditerranée, une des mers les plus sales du Monde.Maria Luiza Pedrotti, spécialiste du plastique à l'Observatoire Océanologique de Villefranche-sur-Mer, cheffe scientifique pour le leg Hawaii - Portland, et deux membres de son équipe, de différentes universités: Melanie Billaud et Justine Jacquin regardent les microplastiques, de la taille d'un grain de riz défiler à la surface de l'eau. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR "LE MONDE"

Avec cinq mille mètres de fond sous les palmes, le nez dans l’eau, nous avons méthodiquement quadrillé les abords de Tara qui dérivait doucement sur la mer d’huile. Mais user nos yeux et nos masques à ausculter les premiers mètres sous la surface d’une eau entre 22 et 19 degrés n’a été que frustration. Même immergés, nous n’en distinguions pas davantage que depuis le bastingage…

majorité de micro-plastiques

« Une bouteille en plastique vide de 20 grammes fragmentée représente 20 000 morceaux de micro-plastiques d’un millimètre, nous a rappelé, pour exemple, Maria Luiza Pedrotti, chercheuse en biologie marine au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-mer (Alpes-maritimes) et cheffe de mission scientifique sur Tara. Contrairement aux agglomérats de plastiques qu’on trouve aux embouchures des rivières ou sur les plages, le Great Pacific Garbage Patch contient une immense majorité de micro-plastiques principalement issus de la fragmentation de macro-déchets par le brassage de l’eau, l’action des rayons du soleil, etc., et ils sont distribués très inégalement sur cette zone qui représente six fois la surface de la France ».

Traversée du Pacifique Nord de Honolulu - Hawaï à Portland - Oregon à travers le Great Pacifique Garbage Patch.Jour 8 : Au milieu du Great Pacifique Garbage Patch, les concentrations de plastiques sont jusqu'à dix fois plus importantes que dans les endroits les plus contaminés de Méditerranée, une des mers les plus sales du Monde.Melanie Billaud et Nils Haentjens inspectent un échantillon récolté par le filet Manta. / SAMUEL BOLLENDORFF POUR "LE MONDE"

Après avoir délesté un des safrans (partie du gouvernail) de Tara d’un morceau de filet de pêche, Jonathan Lancelot, « chef plongée » du bord a fini par trouver un de ces « points chauds » en arrière du bateau. Armé de son boîtier étanche, il a pu immortaliser un mélange de petits organismes vivants frayant avec du plastique. Comme ce crabe miniature cramponné à un morceau de plastique rigide de plusieurs cm de long rongé, tel un naufragé sur son radeau…

Traversée du Pacifique Nord de Honolulu - Hawaï à Portland - Oregon à travers le Great Pacifique Garbage Patch. Jour 8 : L'océan révèle des microplastiques, pas plus grands que des grains de riz, à la surface de l'eau. Au milieu du Great Pacifique Garbage Patch, les concentrations de plastiques sont jusqu'à dix fois plus importantes que dans les endroits les plus contaminés de Méditerranée, une des mers les plus sales du Monde. Un petit crabe s'est réfugié sur un microplastique. Photo : Jonathan LANCELOT/ Fondation Tara Expéditions / Jonathan LANCELOT/ Fondation Tar

La déprime suscitée par cette triste vision était sur le point d’envahir la coursive lorsque la remontée des profondeurs du spécialiste de l’optique océanographique, Nils Haëntjens, et du photographe Samuel Bollendorff, respectivement affublés d’un Marcel noir en néoprène et d’un improbable caleçon marine en lycra détendu, a inspiré une idée de génie aux femmes du bord. Celle d’ériger ces messieurs en égéries de calendriers, afin de soutenir la science en cruel et récurrent manque de fonds… Las l’arithmétique a fait capoter le projet puisque notre contingent masculin se limite à 8 spécimens.

L’un d’eux, Stéphane Mazevet fêtait avant-hier ses 50 ans. Astrophysicien, directeur de laboratoire à l’Observatoire de Paris et ex-vice doyen de la recherche en charge des sciences fondamentales à l’université Paris Sciences et Lettres (PSL) – partenaire scientifique majeur de l’expédition Tara Pacific -, l’homme est l’invité du bord.

Traversée du Pacifique Nord de Honolulu - Hawaï à Portland - Oregon à travers le Great Pacifique Garbage Patch.Jour 8 : Au milieu du Great Pacifique Garbage Patch, les concentrations de plastiques sont jusqu'à dix fois plus importantes que dans les endroits les plus contaminés de Méditerranée, une des mers les plus sales du Monde.Échantillons de plastiques prélevés dans le GPHP / SAMUEL BOLLENDORFF POUR "LE MONDE"

Dauphins, tortue et thon

En son honneur et pour la circonstance, le capitaine, Yohann Mucherie, arborait sur son bermuda une chemise blanche et une veste noire à col Mao. Il avait en outre convié la faune sous marine pour animer la soirée. A l’heure des agapes organisées sur le pont, un banc de dauphins a surgi pour régaler Tara de ses cabrioles pendant plusieurs dizaines de milles, tandis qu’une tortue d’une vingtaine de centimètres de diamètre barbotait plus modestement autour de la carène du voilier.

Stéphane Mazevet -qui s’évertue depuis le départ à convaincre un auditoire tête en l’air que l’astrophysique n’a rien à voir avec les thèmes astraux et les horoscopes – ouvrait des yeux comme des soucoupes, quasi convaincu du parfait alignement des planètes en hommage à son demi-siècle.

C’est alors qu’un thon albacore de sept kilos a ramené chacun à la réalité en mordant à la ligne de pêche tribord. L’animal a fini en steaks dans nos assiettes non sans nous infliger une piqûre de rappel sur le fonctionnement de la chaîne alimentaire. Son estomac recelait un calamar et des granulés plastiques…