De vives tensions secouaient encore le quartier du Breil à Nantes, mercredi 4 juillet au soir. A 21 heures, sous les regards inquiets de nombreux habitants penchés aux fenêtres des immeubles, plusieurs groupes faisaient face aux forces de l’ordre, venues en nombre sécuriser les lieux.

Vingt-quatre heures après la mort d’Aboubakar F., un jeune homme de 22 ans originaire du Val-d’Oise, installé depuis deux ans dans cette cité nantaise, la colère grondait encore au pied des tours, où les uns et les autres refaisaient, encore et encore, le film des événements.

Il est 20 h 30, mardi, quand un équipage de six CRS croise la route de la Nissan de location que conduit d’Aboubakar F. et lui demande de s’arrêter. Ce dernier coupe le moteur et tend des papiers aux fonctionnaires. La scène dure de longues minutes. Il ne dispose pas de document d’identité et se présente sous un faux nom. Un CRS appelle le commissariat pour vérifications. Il est alors décidé d’y mener le conducteur. C’est à cet instant que celui-ci « semble-t-il, a ch erché à se soustraire à ce contrôle en opérant à vive allure une marche arrière », a précisé mercredi Pierre Sennès, le procureur de la République de Nantes.

Dans la manœuvre, la Nissan percute une Renault Mégane stationnée à proximité. Un des CRS a suivi sa progression. Son Sig Sauer à la main, il se « positionne à proximité de la place du conducteur » et fait feu « à une seule reprise », selon M. Sennès. Aboubacar F. est touché au niveau du cou. Le tir provoque sa « mort dans un bref délai ».

Un appel à témoins

Le policier a-t-il agi en état de légitime défense ? Mardi soir, des sources policières faisaient état d’un CRS blessé aux genoux par le véhicule et évoquaient la présence d’enfants, qui se seraient trouvés « en danger », derrière la Nissan. Une version réfutée par des habitants témoins de la scène qui assurent que personne ne se trouvait sur le chemin de la voiture.

« C’était un tir à bout portant », affirme ainsi Jordan, un ami d’Aboubakar. « Il est mort gratuitement. Comme un chien. On en veut beaucoup à la police. »

Le procureur a confirmé mercredi que la victime faisait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré en juin 2017 par un juge d’instruction de Créteil, des chefs de vol en bande organisée, recel et association de malfaiteurs. « Cela peut expliquer la logique de fuite », a-t-il déclaré.

Mais « cela n’explique pas sa mort », répondent des jeunes gens du quartier, qui gardent le souvenir d’un jeune homme « souriant et intelligent ». « Ok, il y avait cette affaire, mais mardi, il n’était ni armé, ni violent. Pourquoi a-t-il été tué ? On veut la vérité, et vite ! », expliquait l’un d’eux, qui cherchait, comme d’autres ici, à collecter le maximum de témoignages et de vidéos de la scène dans le quartier pour « prouver que la version de la police est fausse ».

Une seconde nuit de heurts

L’enquête a été confiée au service régional de police judiciaire (SRPJ) et à l’inspection générale de la police nationale (IGPN), qui a lancé un appel à témoins. Les enquêteurs cherchent notamment à déterminer, dans « quelles circonstances le policier a été amené à faire usage de son arme de service » et à établir si cet usage est « conforme aux dispositions légales », selon les mots du procureur. Tous ont été entendus mercredi par l’IGPN, ainsi qu’un témoin, dont le récit semblait très éclairant.

Pierre Sennès a promis une « enquête approfondie », que la famille du défunt est « en droit d’attendre ». Il a également annoncé qu’il pourrait peut-être, ce jeudi, faire connaître ses conclusions sur le déroulé précis des faits.

Mercredi soir, malgré un appel au calme lancé par la famille d’Aboubakar F, relayé par plusieurs « grands frères » du quartier, ainsi que sur les réseaux sociaux, certains habitants cherchaient toujours à en découdre avec les policiers et gendarmes. Autour des lieux du drame, où des bouquets de fleurs avaient été déposés, les tirs de gaz lacrymogène répondaient alors aux insultes et aux jets de projectiles.