Editorial du « Monde ». L’engrenage infernal de la guerre commerciale peut-il encore être stoppé ? Depuis que Donald Trump s’est lancé dans sa croisade pour réduire le déficit des échanges extérieurs américains, on assiste, impuissant, à un scénario aussi prévisible que dommageable pour l’économie mondiale.

Les menaces de relèvement des taxes sur les exportations vers les Etats-Unis proférées depuis des mois ont commencé à être mises à exécution, entraînant à leur tour des mesures de rétorsion, qui elles-mêmes sont sur le point de provoquer une nouvelle surenchère de la part de Washington, au mépris du droit international. Ainsi, de nouvelles sanctions sur des produits chinois pourraient être mises en œuvre dès le 6 juillet, tandis que les voitures européennes risquent prochainement de subir des taxes de 25 %.

« Les gouvernements étrangers ne peuvent pas réellement donner à Trump ce qu’il veut, parce qu’il leur demande d’arrêter de faire des choses qu’ils ne font pas vraiment. » Paul Krugman, Prix Nobel d’économie

Ce qui paraissait improbable il y a encore quelques mois est en train de se concrétiser, sans qu’on puisse à ce stade identifier ce qui pourrait ramener M. Trump à la raison. Pourtant, toute une série de voyants commence à clignoter. Les marchés financiers sont de plus en plus nerveux. Il y a quelques jours, le président de la banque centrale américaine, Jerome Powell, a alerté sur le fait que les entreprises envisagent de reporter investissements et embauches. Alors qu’un tiers des terres cultivées aux Etats-Unis sont destinées à produire pour l’exportation, les agriculteurs américains, qui ont pourtant voté en masse pour M. Trump, craignent de devenir les victimes collatérales de ses foucades protectionnistes.

Contrairement à ce que le président américain affirme, il n’y aura pas de vainqueur dans cet affrontement, comme l’anticipe la note publiée le 3 juillet par le Conseil d’analyse économique, qui parle d’« avis de tempête sur le commerce international ». Plusieurs scénarios sont envisagés, dont celui d’une « guerre commerciale totale », qui entraînerait pour les Etats-Unis, la Chine et l’UE un recul de 3 à 4 points de leur PIB. Les échanges entre la France et le reste du monde, hors UE, s’effondreraient de 42 %, avec un impact qui serait comparable à celui de la crise de 2008.

La situation est d’autant plus grave qu’elle échappe à toute rationalité. Comme le résume le Prix Nobel d’économie, l’Américain Paul Krugman, « les gouvernements étrangers ne peuvent pas réellement donner à Trump ce qu’il veut, parce qu‘il leur demande d’arrêter de faire des choses qu’ils ne font pas vraiment ». En fait, le constat du président américain, basé sur des calculs de politique intérieure, est erroné. Si les Etats-Unis accusent un déficit avec la plupart de leurs partenaires commerciaux, c’est parce que les Américains n’épargnent pas assez et vivent au-dessus de leurs moyens. De ce point de vue, la réforme fiscale récemment adoptée par le Congrès, en creusant dangereusement le déficit budgétaire, ne peut qu’amplifier le phénomène.

Dresser des herses aux frontières n’améliorera rien et risque au contraire de provoquer une réaction en chaîne inéluctable. L’augmentation des droits de douane va nourrir l’inflation, que la Réserve fédérale sera obligée de juguler en accélérant le relèvement de ses taux d’intérêt, ce qui aboutira à faire chuter l’investissement et la ­consommation. De façon irresponsable, Washington met en danger l’économie mondiale. Si le point de non-retour n’est pas encore atteint, il n’a jamais été aussi proche. La mauvaise nouvelle est que le seul qui puisse arrêter cette folie est le ­président des Etats-Unis le plus imprévi­sible de l’Histoire.