A la découverte de Nijni Novgorod, la ville où la France joue son quart de finale
A la découverte de Nijni Novgorod, la ville où la France joue son quart de finale
Par Anthony Hernandez (envoyé spécial à Nijni Novgorod)
La ville de l’écrivain Maxime Gorki, fermée pendant des décennies après guerre, accueille les Bleus vendredi 6 juillet. A la confluence de la Volga et de l’Oka, elle possède un riche passé commercial.
La campagne de Russie des Bleus s’apprête à offrir une quatrième ville étape à ses fidèles supporteurs. Après Kazan, Iekaterinbourg et Moscou, l’équipe de France joue vendredi son quart de finale, le deuxième consécutif en Coupe du monde, à Nijni Novgorod. L’adversaire uruguayen connaît déjà bien le coin, puisque son camp de base est situé sur l’autre rive de la Volga, dans la ville frontalière de Gor.
Avec 1 250 000 habitants, Nijni Novgorod est la cinquième ville de Russie, derrière Moscou, Saint-Pétersbourg, Novossibirsk et Iekaterinbourg. Elle a été fondée en 1221 par le prince Vladimir, et son nom signifie littéralement « nouvelle ville du bas », qu’il faut interpréter comme la nouvelle ville sur les terres de la basse Volga, puisque à sa fondation elle était la dernière ville russe aux abords du fleuve. Entre 1932 et 1990, l’endroit a été rebaptisé « Gorki », en l’honneur du célèbre écrivain soviétique Maxime Gorki, enfant du pays, qui n’a pas vraiment eu son mot à dire.
Une maison en bois du XIXe siècle en plein centre-ville. / Pavel Golovkin / AP
Il y a deux parties distinctes à Nijni Novgorod : la ville haute constituée du centre historique et de ses nombreuses maisons en bois encore habitées, fortifiée grâce notamment à la construction du Kremlin local et la ville basse, plus industrielle et récente. Consul de France, qui travaille dans l’édition et dirige désormais le journal municipal, Sergueï Avdeev nous sert de guide le temps d’une promenade dans sa cité natale. « Nijni Novgorod a longtemps été une ville fermée. Personne de l’extérieur ne pouvait s’y rendre, surtout les étrangers. Il y avait beaucoup d’industries sensibles de défense… », se souvient-il. Cette période durera de 1959 à 1991. Entre 1980 et 1986, un dissident célèbre, le scientifique Andreï Sakharov sera aussi assigné à résidence entre les murs de la ville.
La place Menine [Kouzma Minine, le héros national qui permit de libérer Moscou des Polonais], la plus centrale, est accaparée par le barnum de la FIFA, la fan-zone y est installée. Quelques routes aux alentours sont interdites à la circulation. « Tout le monde s’intéresse au football en ce moment, même si notre ville est plus friande de hockey sur glace en temps normal. Cela fait quand même râler quelques habitants que tout soit barré », confie le consul qui a appris le français lorsqu’il habitait à Brazzaville pendant deux ans.
Le Palazzo italien du marchand Roukavichnikov. / Petr David Josek / AP
La visite se poursuit avec l’un des bâtiments les plus emblématiques. Le Palazzo italien du marchand Roukavichnikov. A l’époque, cette famille, la plus riche, possède plus d’une quarantaine de maisons. La demeure, aujourd’hui transformée en musée, en était le bijou : « Cette famille de millionnaires a engendré quatre sculpteurs parmi ses descendants. Le plus connu est l’un de mes amis, Alexandre dont les grands-parents habitaient encore à Nijni Novgorod. » Très productif, Alexandre Roukavichnikov a, entre autres, réalisé la statue du gladiateur devant le stade du Spartak où se jouent des matchs du Mondial.
Avant sa reconversion industrielle, Nijni Novgorod était une importante ville marchande, idéalement placée sur la route de la soie, si bien qu’on la surnommait le portefeuille de la Russie. L’une des plus importantes foires en Europe. Dans son récit d’aventure, Michel Strogoff, Jules Verne fait passer son héros dans la ville. Arrivé par voie de chemin de fer, il embarque sur « le Caucase » pour relier Permpar la Volga. Une sculpture de ballon dirigeable rend hommage à l’écrivain français sur les hauteurs, située à quelques centaines de mètres de celle de son homologue local, Gorki.
Le ballon, hommage à Jules Verne. / A.H
L’ouvrage décrit ainsi la foire :
« Nijni Novgorod, qui, en temps ordinaire, ne compte que trente à trente-cinq mille habitants, en renfermait alors plus de trois cent mille, c’est-à-dire que sa population était décuplée. Cet accroissement était dû à la célèbre foire qui se tient dans ses murs pendant une période de trois semaines. C’était un peu en dehors de la ville que se tenait cette foire de Nijni Novgorod, avec laquelle celle de Leipzig elle-même ne saurait rivaliser. »
« Dans ces avenues, le long de ces allées, le soleil étant fort au-dessus de l’horizon, puisque, ce matin-là, il s’était levé avant quatre heures, l’affluence était déjà considérable. Russes, Sibériens, Allemands, Cosaques, Turkomans, Persans, Géorgiens, Grecs, Ottomans, Indous, Chinois, mélange extraordinaire d’Européens et d’Asiatiques, causaient, discutaient, péroraient, trafiquaient. Tout ce qui se vend ou s’achète semblait avoir été entassé sur cette place. »
Point d’orgue de cette tradition commerciale, en 1896, la Foire de Russie est organisée pour la première fois en dehors de la capitale. « L’ingénieur et architecte Vladimir Choukhov, le De Vinci russe, a notamment réalisé pour l’occasion la première tour hyperboloïde au monde qui servait d’antenne radio. La foire a été inaugurée en présence de la famille impériale », explique le consul.
Les escaliers de Tchkalov. / A.H
Pour descendre sur les quais, la ville a bâti le plus long escalier de Russie. L’escalier a été construit en forme de huit et a été nommé en l’honneur de l’aviateur soviétique Valeri Tchkalov. En 1937, il a réussi le premier vol sans escale à travers le Pôle Nord entre Moscou et Vancouver. « On ne sait pas exactement le nombre de marches. On estime à environ 560. L’une des grandes traditions pour les bacheliers est de se réunir ici après leur examen et d’essayer de les compter. J’ai moi aussi satisfait à cette tradition », raconte Sergueï Avdeev.
La sculpture représente un cerf géant, l’emblème de la ville. / Pavel Golovkin / AP
Le long des quais supérieurs, dont une partie rénovée a été inaugurée seulement le 30 mai 2018, après dix ans de fermeture pour cause d’un procès entre le promoteur et la municipalité, on trouve plusieurs objets symboliques : un vieux rafiot qui a servi sur la Volga et l’Oka pendant la guerre civile et une sculpture d’un artiste hongrois qui représente un cerf, emblème de Nijni.
En face, on aperçoit la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski, qui avec ses 87 mètres de hauteur, est la troisième plus haute cathédrale de Russie derrière la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou et la cathédrale Saint-Isaac à Saint-Pétersbourg. Juste à côté est sortie de terre pour le Mondial l’Arena flambant neuve, au niveau de la confluence entre le fleuve, la Volga, et son affluent, l’Oka. Une belle réussite architecturale qui inquiète cependant en ce qui concerne son avenir. Il apparaît un brin surdimensionné pour l’équipe locale de football qui n’est qu’en deuxième division. On parle bien de l’organisation de concerts mais les précédents dans des pays comme l’Afrique du Sud ou le Brésil n’incitent pas à un optimisme béat.
La cathédrale, l’Arena et la confluence. / A.H
Le consul de France se montre pragmatique. Il liste les réalisations qu’il a vu sortir de terre pour cette Coupe du monde : « Un nouvel aéroport, un deuxième pont, la gare et le quai rénovés… C’est quelque chose d’extraordinaire. » Fin juin, Sergueï Avdeev était prêt à accueillir les visiteurs français : « On attend la France. J’espère qu’elle va venir joueur ici. Vous savez après la réouverture de la ville au début des années 1990, l’ambassadeur de France, Pierre Morel, a été le premier à se rendre à Nijni Novgorod… » De là à y voir un bon présage pour l’avenir des Bleus dans cette Coupe du monde.