Romain Bardet, durant la présentation des équipes, le 5 juillet à La Roche-sur-Yon. / JEFF PACHOUD / AFP

Ce n’est plus un vélo mais un cabinet de curiosités : sur la monture chromée qu’il a enfourchée samedi, au départ de Noirmoutier-en-l’Île (Vendée), Romain Bardet a fait représenter le Puy-de-Dôme, Vercingétorix et sa devise : « Take the risk or lose the chance » (« Saisis ta chance ou perds-la »). Trois inspirations pour le guider vers l’objectif auquel il ne pensait pas il y a deux ans ; auquel il n’osait penser il y a un an ; et qu’il peine à formuler aujourd’hui.

Pourtant, le maillot jaune est à portée d’effort et l’équipe AG2R-La Mondiale en est convaincue, depuis la présentation du Tour de France en octobre 2017 : cet unique contre-la-montre individuel, vallonné, en fin de Tour ; ces ascensions longues et cette succession d’étapes difficiles, en troisième semaine ; ces étapes inqualifiables, sur des routes propices à l’embuscade. Tout cela sied au Français. Ne lui dites-pas : il déteste que l’on souffle que ce Tour lui convient, comme les organisateurs que l’on dise que le parcours favorise les desseins d’un possible vainqueur tricolore.

Pour l’heure, Bardet ne pense qu’à ces neuf jours semés d’embûches jusqu’à Arras où, dans l’ombre de la Coupe du monde, le contre-la-montre par équipes de Cholet, les routes sinueuses du Finistère, le vent d’Amiens et les pavés de l’« enfer du Nord » se chargeront de faire un premier tri. La chance, aussi. Il y pense souvent : « Tout ne tient qu’à un fil, sur le Tour. Tout ne dépend pas que de ma volonté. Le nombre de fois où je suis passé à deux doigts de la catastrophe, je me dis que j’ai eu beaucoup de réussite. » C’est vrai : il n’a jamais échoué en cinq participations, dessinant une progression régulière. Arrachée pour une seconde, sa troisième place de l’an passé, après une deuxième en 2016, est une régression en trompe-l’œil. Au sommet du col de l’Izoard, à deux jours des Champs, Christopher Froome n’était qu’à vingt-trois secondes.

« Etre conquérant et irréprochable »

Cette fois, Froome a dans les jambes un Tour d’Italie remporté et, mine de rien, un an de plus. Autant de handicaps supplémentaires quand Bardet, lui, a gagné en expérience et tout misé sur le Tour, gardant sa fraîcheur pour juillet.

C’est son côté chef d’entreprise : Bardet s’intéresse aux RH. Cet hiver, il a mis son grain de sel dans les entretiens d’embauche. AG2R a retenu Tony Gallopin et Silvan Dillier, parce qu’ils pouvaient l’aider dans cette traversée tortueuse de l’Ouest puis du Nord. Eux venaient aussi pour les classiques et AG2R leur a laissé cette récréation, en les prévenant toutefois : ils sont là pour aider Bardet à gagner le Tour.

Si l’on déploie sur une grande table les équipes des dix favoris de ce Tour de France très ouvert, les sept qui l’escortent s’imposent comme le deuxième collectif le plus impressionnant. Et, depuis l’an dernier, le seul à oser chatouiller la plante des pieds du colosse Team Sky.

Bardet a livré, à deux jours du Tour, ses raisons d’être confiant : « L’équipe s’est encore structurée. Donc c’est davantage de confiance au moment de prendre le départ. Le collectif est vraiment rôdé, je sais que je peux me reposer sur mes coéquipiers. Et l’objectif est vraiment d’être conquérant et surtout d’être irréprochable dans l’attitude et l’envie de bien faire. »

Arrachée pour une seconde, sa troisième place de l’an passé, après une deuxième en 2016, est une régression en trompe-l’œil

Il sait que le retard subi dans le contre-la-montre par équipes écrira un scénario que l’on pourra déchirer trois jours plus tard. Jean-Baptiste Quiclet, son entraîneur, garde en tête « l’image de Richie Porte qui trainait sa misère à Cherbourg, sur le Tour 2016, après un saut de chaîne. Il perd le podium là-dessus, à la deuxième étape. T’as peur de ça. Cette semaine dans l’Ouest amène de la fébrilité ».

Lorsqu’il regarde un peu plus loin dans le parcours du Tour, Quiclet voit des bons points partout, notamment l’enchaînement des difficultés qui favorise les coureurs dotés de grandes capacités de récupération, comme Bardet. « L’étape des pavés sera la plus dure du Tour de France. Ensuite, jusqu’à Espelette [contre-la-montre, la veille de l’arrivée], c’est infernal. Il y a matière à inventer des choses à condition d’avoir les jambes. » Conclusion : « L’ADN de ce Tour 2018 est proche de ce qu’est capable de faire AG2R. »

Romain Bardet dit cela autrement : « Ce Tour est taillé pour des coureurs qui veulent mettre all in sur une étape et y risquer la vie monacale qu’ils ont menée pendant quatre mois. » Son portrait-robot.