PeerTube, le « YouTube décentralisé », réussit son financement participatif
PeerTube, le « YouTube décentralisé », réussit son financement participatif
Par Bastien Lion
L’association française pour le développement de logiciels libres Framasoft lance une plate-forme de vidéos, qui doit encore faire ses preuves si elle veut, à terme, attirer le grand public.
C’est fait. Avec 53 100 euros récoltés en quarante-deux jours, le projet PeerTube a pulverisé son objectif de financement participatif. Le principe a de quoi intriguer : une version totalement décentralisée de YouTube, dont le code informatique est librement accessible et modifiable, et où les vidéos sont partagées entre utilisateurs sans dépendre d’un système central. En ligne depuis mars 2018 dans une version bêta, le projet devrait prendre définitivement son envol d’ici à octobre, en s’appuyant sur l’argent récolté.
A l’origine de PeerTube se trouve l’association française Framasoft, l’une des principales associations militant pour le développement de logiciels libres en Europe. Avec sa stratégie de développement et de centralisation tous azimuts, Google, qui possède YouTube, est vite devenu un symbole dans la lutte orchestrée par Framasoft — qui a lancé il y a quatre ans une campagne baptisée « Dégooglisons Internet ».
11 000 vidéos en ligne
Comme Mastodon, une alternative décentralisée à Twitter lancée en 2016, PeerTube s’appuie sur un système décentralisé et fédératif. En d’autres termes, il n’y a pas d’autorité supérieure qui gère, diffuse et modère les contenus proposés, comme c’est le cas sur YouTube, mais un réseau d’« instances ». Créées par un ou plusieurs administrateurs, ces communautés sont régies selon des principes propres à chacune d’entre elles. Tout internaute peut regarder librement les vidéos sans s’inscrire, mais pour mettre en ligne une vidéo, il faut choisir parmi la liste d’instances déjà existantes, ou créer la sienne si l’on dispose des connaissances techniques nécessaires.
Pour le moment, 141 instances sont proposées. La plupart n’ont pas de spécificités, mais on peut y trouver des communautés centrées sur un thème ou ouvertes à une région du monde particulière. En tout, plus de 4 000 personnes sont actuellement inscrites sur PeerTube, pour un total de 338 000 vues pour 11 000 vidéos.
De nombreuses évolutions à prévoir
PeerTube est entièrement modifiable et adaptable selon les besoins de chacun…, à condition de savoir coder. La communauté déjà inscrite est composée en grande partie d’un public technophile, et donc en mesure de proposer de nouvelles fonctionnalités. L’amélioration et la simplification de l’expérience utilisateur sont d’ailleurs l’un des principaux objectifs de Framasoft.
Mais le fonctionnement actuel de la plate-forme, pas vraiment intuitif pour un non-initié, est également le principal défaut de PeerTube. « Les Gafam nous placent dans une position de consommateurs », explique Pouhiou, chargé de communication pour Framasoft. « Certes, ils ont les moyens de créer des logiciels extraordinairement pratiques qui amènent beaucoup de confort à l’utilisateur. Mais bien souvent, ce gain de confort s’accompagne d’une perte de contrôle de nos données. Si l’on veut reprendre le pouvoir, il faut prendre aussi les responsabilités qui vont avec. »
Cette difficulté « incompressible » n’inquiète pas nécessairement l’association. PeerTube n’est pour le moment pas un « YouTube killer », mais un projet encore jeune. Pas question d’attirer trop d’utilisateurs d’un coup : la plate-forme, largement perfectible, risquerait de rebuter les moins connaisseurs — certaines fonctions, comme l’abonnement à une chaîne, ne sont pas encore en place. PeerTube ne cherche pas non plus à attirer des youtubeurs stars.
Contrairement à YouTube, PeerTube n’affiche pas de publicités par défaut. « En termes de monétisation, on a voulu faire un outil neutre » souligne Pouhiou. Pour le moment, un simple bouton « support » permet aux vidéastes d’orienter leurs spectateurs vers Tipee, Patreon, Paypal et d’autres outils de don. Mais à l’avenir, Framasoft espère que « les gens pourront coder leur propre système de monétisation ».
Modération autogérée
D’autres questions risquent, à terme, de faire débat. Les contenus pornographiques, autorisés par certaines instances à condition d’afficher d’un label « Not safe for work » et de flouter la miniature, sont tout de même déjà présents parmi les vidéos les plus populaires de PeerTube. L’organisation en fédérations peut également ouvrir la porte à la création d’instances acceptant des vidéos extrémistes ou appelant à la violence.
Là encore, Framasoft compte sur sa communauté pour empêcher les débordements et conserver la fraîcheur originelle : « PeerTube fonctionne un peu sur le même principe que Twitter, explique Pouhiou. On peut suivre et ajouter des vidéos sur son instance mais ça n’est pas automatiquement réciproque. Une communauté peut donc être ostracisée si ses actions sont jugées néfastes par les autres. »
Comment évoluera PeerTube ? Deux ans après sa création, son « grand frère » Mastodon se porte plutôt sainement, et a dépassé le million d’utilisateurs. Il y a donc de l’espoir pour une alternative aux grosses machines de la Silicon Valley. D’autant qu’en accumulant ces derniers mois les problèmes de modération et de monétisation, YouTube s’est mis à dos une partie de ses utilisateurs, qui pourraient bien voir d’un bon œil l’émergence d’une alternative.