TV – « L’Eloquence des sourds »
TV – « L’Eloquence des sourds »
Par Camille Langlade
Notre choix du soir. Laëtitia Moreau fait le portrait sensible de Virginie et, à travers elle, met à mal bien des clichés sur la surdité (sur Arte à 23 h 15).
« Imaginez un monde où un avion qui décolle fait le bruit d’un oiseau (…). Je m’appelle Virginie et ce monde, c’est le mien. » Virginie est sourde de naissance. Pourtant, cela ne se perçoit presque pas. Dès la petite enfance, ses parents l’ont initiée à la lecture labiale et à l’oralité. Grâce à des heures et des heures d’orthophonie, la jeune femme a appris à parler, sans jamais entendre le son de sa voix. C’est ainsi qu’elle nous conte sa vie. Une vie entre « deux mondes », celui de la surdité et celui des entendants, rappelant au passage que non, les sourds ne naissent pas muets.
Dans L’Eloquence des sourds, la réalisatrice Laëtitia Moreau dresse le portrait d’une femme brillante, dans tous les sens du terme. Virginie y dévoile son quotidien, somme toute assez banal. Rythmé par les rendez-vous médicaux, les réunions de travail, les scènes familiales, les sorties sportives et les repas entre amis. Cadre dans une grande société d’assurance, mère de deux enfants, épouse d’un mari aimant, Virginie fait figure de modèle. Mais derrière le tableau idyllique se cache le parcours d’une combattante.
Pour surmonter ce « handicap de la communication », Virginie a dû franchir bien des obstacles. Des entraves venant notamment des enseignants – à l’université, ses professeurs refusaient de lui donner la version papier de leurs cours – et du corps médical. Le médecin de ses parents la condamne au mutisme. Qu’à cela ne tienne, elle deviendra la première avocate sourde de France. Une belle revanche. Néanmoins, la jeune femme n’a jamais plaidé en public, par peur, et s’est finalement tournée vers l’entreprise.
Entre « deux mondes »
Son fils et sa fille, sourds également, sont porteurs d’implants cochléaires. Ce qui leur permet, à peu de chose près, de parler et d’entendre comme les enfants de leur âge. Virginie s’est aussi fait opérer lorsqu’elle avait 20 ans, sans réel succès. Aujourd’hui, la question d’une nouvelle intervention a été mise sur la table, mais, réticente, elle hésite.
Si tout semble avoir réussi à Virginie, on perçoit également ses doutes, ses inquiétudes et la fatigue qui la happe. Et c’est là que réside la beauté de ce film : montrer toutes les nuances de sa vie et mettre au jour les émotions qui traversent cette bosseuse. Ce documentaire a pourtant un je-ne-sais-quoi de reposant. Comme Virginie, on finit par apprécier le silence d’une soirée chez soi ou d’un dîner entre amis malentendants, où le langage des signes finit par prendre le pas sur celui des cordes vocales. Elle reconnaît puiser sa force dans les mondes à la fois étrangers et complémentaires que sont ceux des sourds et des entendants.
Virginie est même la première sourde profonde de naissance à avoir passé le diplôme d’avocate en France. / ELEPHANT DOC/CHRYSALIDE PRODUCTIONS
Au-delà de son héroïne, souvent drôle et émouvante, Laëtitia Moreau livre un film sensible qui interroge le comportement des entendants vis-à-vis des sourds et du handicap en général. Quelle attitude adopter ? comment leur parler ? Autant de questions auxquelles Virginie a déjà été confrontée. Non sans humour d’ailleurs, elle relate notamment quelques-uns de ses entretiens d’embauche, qui en disent long sur les préjugés ancrés dans notre société.
Poignant, ce portrait met à mal bien des clichés sur la surdité et souligne la richesse de l’« éloquence des sourds », composée de signes, de lèvres et de paroles. Un univers peuplé d’« images, de vibrations, de sensations », comme le décrit Virginie. A bon entendeur.
L’Eloquence des sourds, de Laëtitia Moreau (France, 2017, 50 min).