Coupe du monde 1998 : « Comme qui dirait un phénomène de société ! »
Coupe du monde 1998 : « Comme qui dirait un phénomène de société ! »
Par Pierre Georges
Archives. Le journaliste du « Monde » Pierre Georges revient, la veille de la finale opposant les Bleus aux Brésiliens, sur l’état d’esprit qui règne alors dans la population.
A l’occasion de la Coupe du monde de football 2018 en Russie, Le Monde republie des articles parus en 1998, lors de la première Coupe du monde remportée par les Bleus, à Paris.
13 juillet 1998
Ça s’est passé un dimanche, un dimanche au bord de l’eau ! Le Stade de France n’est pas tout à fait une guinguette échouée le long du canal de Saint-Denis. Et pourtant il y a dans le pays comme une envie de chanson pour la belle équipe.
Voilà, nous y sommes. Le jour de Coupe est arrivé ! Et il est un peu dur à imaginer ce dimanche de juillet si particulier où tout sera folie et football, messe et football, famille et football, chants et football, danses et football, drapeaux et football, femmes et football. Et tout ce que l’on voudra, car cette folie-là n’est pas limitative.
La France se passionne pour la France. C’est une grande nouvelle et une petite surprise. Le temps y est au gris. L’humeur au tricolore. Le désir à la fête. Et, comme éberlués ou ronchons devant cette passion subite et joyeuse qu’ils ne peuvent plus ramener aux seuls débordements de la beauferie présumée ou du chauvinisme imbibé, les analystes dissèquent l’événement avec des gourmandises d’entomologistes. Comme qui dirait, un phénomène de société !
Toute la France semble s’être rassemblée pour soutenir l’équipe de France lors de la finale de la Coupe du monde 1998 contre « l’invicible » équipe du Brésil. / PHILIPPE DESMAZES / AFP
Gros bonheur précaire
Allons, pas de ces balivernes-là. La société existait avant. Elle existera après. Ni meilleure ni pire. Vivante et cloisonnée. Ouverte et injuste. Généreuse et oublieuse. Capable de s’émerveiller d’un si beau métissage et tout aussi capable d’en faire son plus absurde tourment. Le soufflé est sympathique, mais ne durera sans doute que ce que dure ce genre de montgolfière gastronomique.
Prenons plutôt ce gros bonheur précaire comme il vient et ce dimanche comme il devra être : l’envie d’une grande fête de la famille France, un instant guérie de ses plaies et fantasmes, l’envie de s’éclater, de rire, de chanter, de danser. Le siècle se finit et pourtant il y a dans tout cela une vieille France qui perdure, une jeune France qui renoue. Entre le jour de fête à la Jacques Tati ou à la Aimé Jacquet, sur fond de 14-Juillet anticipé, et le Jour de France qui se découvre, abasourdie, un sentiment national autre que celui des médiocres porteurs de haine.
Une grande fête donc. Et ce n’est pas si mal, une fête populaire. C’est une autre grande découverte du moment : le peuple existe ! Et le peuple de tous ces jeunes notamment qui ont sauté sur ce Mondial comme sur une providence, une aubaine, une revanche contre le discours dominant de crise, de chômage, de défiance au voisin. Ils peuvent aimer le football, ne pas l’aimer du tout. Qu’importe le vecteur pourvu que le simple et fraternel bonheur d’être ensemble fasse danser les villes et leurs vies.
Ça s’est passé un dimanche. Et l’on n’ose imaginer ce que cela sera si, d’aventure, cette équipe de France qui leur ressemble tant, qui nous ressemble tant à être si contemporaine, décroche la timbale. Il faudrait qu’elle le fasse. Pas seulement pour sa propre légende ou pour la gloire de Mémé. Pas simplement pour inscrire leurs noms au bas d’un palmarès, déjà au bas d’un monument aux vivants. Il le faudrait aussi pour que cette joie-là demeure. Une nuit, un instant !