Développement durable : « Nous avons encore le choix de changer la trajectoire pour les cinq cents prochaines années »
Développement durable : « Nous avons encore le choix de changer la trajectoire pour les cinq cents prochaines années »
Propos recueillis par Rémi Barroux
Le directeur du Programme des Nations unies pour le développement, Achim Steiner, dénonce l’inertie des systèmes politiques contre la pauvreté et le réchauffement.
Achim Steiner à Nairobi, en janvier 2013. / TONY KARUMBA / AFP
Du 16 au 18 juillet, se tient à New York le forum de haut niveau rassemblant les gouvernements pour la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015 par les Nations unies. Directeur général du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Achim Steiner fait le point sur leur avancement.
Les objectifs de développement durable ont été adoptés en 2015. La situation apparaît toujours aussi contrastée…
En créant ce cadre pour tracer un futur commun, en 2015 lors d’une assemblée générale des Nations unies, nous reconnaissions que le modèle passé, réduit au seul développement économique, n’était pas une solution pour un monde de 7, 8 ou 9 milliards de personnes. Le constat était que les inégalités, la durabilité ou plutôt la non-durabilité du développement étaient de plus en plus des facteurs d’échec. Les ODD traduisent cette évolution.
C’est aussi la reconnaissance que le développement ne peut se faire dans le strict cadre des souverainetés nationales, mais qu’il faut tenir compte de l’interdépendance des pays pour régler les grands défis : l’émergence des nouvelles technologies, des nouveaux marchés…
D’un autre côté, les ODD ne sont pas une formule magique résolvant tous les problèmes. Ils donnent un cadre pour agir dans un contexte national et dans un cadre international : « Ne laisser personne derrière ». Ce principe est essentiel dans un monde contemporain habité par de plus en plus de conflits, de radicalisation et d’émergence d’extrémismes dans nos sociétés. Ces objectifs nous donnent une langue commune et des principes.
Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) existaient avant. Pourquoi une nouvelle formule ?
Les OMD n’étaient qu’au nombre de sept et très centrés sur les problèmes des pays en voie de développement. Ils ne reconnaissaient justement pas ce principe d’interdépendance des pays entre eux. Or ce que font les pays du Nord a un impact sur les pays du Sud.
Le changement climatique occupe une place importante dans les ODD. Est-ce un nouveau paradigme ?
En effet, la question climatique impose de nouveaux défis en termes de développement, comme le montre l’objectif 13, « mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques ». Ce peut être un levier incroyable. On le voit dans le domaine de l’énergie où les modèles sont en train de changer. Mais aussi dans les transports ou l’agriculture. Cela devient une opportunité économique et sociale.
Ce qui est en jeu, c’est le changement global du modèle économique. Le secteur privé regarde les futurs marchés dans lesquels il peut investir, et a pris des engagements importants. Il ne s’agit plus seulement pour lui d’assurer un retour rapide sur investissement, mais de se poser la question : « Mon argent va-t-il contribuer à régler un problème ou à l’accentuer ? »
Cela montre la capacité du système financier, traditionnellement très conservateur, à s’engager sur de nouvelles voies. Ce défi du financement de la transition se retrouve plus particulièrement dans les objectifs 6 [eau propre et assainissement], 7 [énergie propre et d’un coût abordable], 11 [villes et communautés durables] et 12 [consommations et productions responsables].
Quels sont les points noirs sur l’agenda des ODD ?
Notre problème aujourd’hui n’est pas que nous manquions d’idées, de concepts pour régler le problème de la pauvreté par exemple. Il vient de l’inertie des systèmes politiques, et aussi de la sphère économique. Aujourd’hui, dans le système actuel, beaucoup font du très bon business, accumulent des profits qui ne sont absolument pas partagés. Cette inertie est un vrai défi parce qu’avec le changement climatique, et la signature de l’accord de Paris, nous avons un délai très court pour avancer sur la « décarbonation » de nos économies.
Les pays ont commencé à travailler mais nous savons bien qu’au niveau global, les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas diminué et que l’économie continue comme avant, dans le domaine des transports, des énergies… Autant de secteurs dans lesquels la question des émissions de carbone restent essentielles.
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) a encore constaté, dans son dernier rapport, que l’on avait quasiment dépassé le point de non-retour dans la limitation à 2 °C du réchauffement. Nous sommes à un moment crucial pour la civilisation, parce que nous avons encore le choix de changer la trajectoire de la planète pour les cinq cents prochaines années, pour les prochaines générations. Mais cette perspective n’est pas au centre de nos préoccupations. La conscience de l’urgence d’agir n’est pas claire.
La situation internationale est plus volatile qu’il y a quinze, vingt ans. Pourquoi ? La cohésion est en crise, nous avons perdu la notion de contrat social et cette crise n’existe pas que dans les pays en voie de développement. L’inégalité divise toutes les sociétés. Nous vivons une époque dans laquelle les conflits, les guerres, entre pays et à l’intérieur d’un même pays sont à un niveau élevé, avec le terrorisme aussi. Or, les ODD ne sont pas que la reconnaissance de valeurs positives, ce sont des outils pour éviter les radicalisations, les conflits. On peut faire intervenir des forces des Nations unies au Mali, au Sahel, mais le facteur fondamental de la violence dans cette région est l’échec du développement.
La question climatique pose le problème de l’adaptation mais on sait que le nombre de réfugiés ne va pas cesser de croître. Avec les ODD, nous disons clairement qu’il faut non seulement répondre dans l’urgence mais investir dans les pays, intervenir certes mais surtout prévenir.
Ce constat du lien entre pauvreté, inégalités et conflits est fait depuis des décennies. Mais on a l’impression que la machine onusienne est grippée. Et Donald Trump montre qu’on peut s’affranchir du collectif sur le développement ou le climat…
Ce ne sont pas seulement les Nations unies qui sont grippées, le monde entier l’est, l’ONU n’étant que le reflet de cette situation. Le défi du multilatéralisme est de répondre à la question des moyens d’action dans un monde où le nationalisme et le protectionnisme progressent. Oui, Donald Trump représente un défi, on le voit avec le G7, la COP, l’accord sur le nucléaire iranien… Et dans ce moment sensible, nous risquons de perdre l’équilibre.
Mais l’histoire du monde ne se résume pas à Trump, ou à une seule politique nationale : il s’agit de maintenir le consensus autour d’un développement économique qui apporte le bien-être social et soit accueillant à l’autre. Une pandémie ne s’arrête pas à l’aéroport de Paris ou au port de Marseille. Il faut travailler dans le cadre des Nations unies pour mettre en commun les moyens pour combattre les risques.
Aujourd’hui par exemple, l’Europe est très préoccupée par la question des réfugiés, des migrations. On a vu le désespoir et la tragédie face à des murs, des grillages. En juin 2018, l’Europe doit trouver les moyens collectifs d’accueillir un bateau de réfugiés, de répondre à ce défi.