Chronique. Le 13 juillet, Paul Biya a mis fin au suspense : il sera candidat à l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Son bilan est catastrophique. En 1982, quand il héritait du pouvoir, le Cameroun était l’un des leaders africains. Trente-six ans plus tard, ce pays est la risée du continent. Hier connu pour la qualité de ses ressources humaines et ses prouesses dans le domaine des arts et du sport, les séjours suisses du président et le look de son épouse sont désormais la marque de fabrique d’un pays épuisé, ruiné, désespéré.

Pourtant, sauf coup de tonnerre, Paul Biya sera réélu. Il a pour lui les armes, l’administration, la Constitution, les institutions chargées de l’organisation du scrutin et de la proclamation des résultats, et les divisions de l’opposition. Comme à chaque élection il y aura des fraudes, plus ou moins massives. Mais il n’est même pas évident que le sortant ait besoin de « bourrer les urnes » pour l’emporter dans une élection à un tour. Comme à chaque élection, l’abstention sera élevée, ce qui profitera au sortant. En cause, une loi électorale taillée sur mesure, la conviction chez beaucoup que le système est verrouillé, l’éparpillement des forces de l’opposition et leur faiblesse structurelle, et les multiples manœuvres du régime Biya pour décourager le vote, en particulier dans les zones qui lui sont traditionnellement hostiles.

Pacte de corruption

Il se trouve que les régions les plus « rebelles » sont les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, actuellement en crise. En raison de l’insécurité qui y prévaut, une partie d’entre elles ne votera pas, ce qui pénalisera l’opposition. Mais une autre partie, notamment dans les villes du Sud-Ouest, moins affectées à ce stade par l’instabilité, pourrait bien être tentée par le vote Biya. Dans ces zones, le mouvement sécessionniste est plutôt impopulaire. Sa transition vers la lutte armée a fait ressurgir des fractures régionalistes latentes. Si le candidat Biya parvenait à les exploiter, il apparaîtrait à la majorité silencieuse du Sud-Ouest comme un bouclier face à la « menace » venant du Nord-Ouest, et pourrait capter des voix traditionnellement dévolues au « candidat anglophone ».

Dans un contexte de fortes tensions, la logique communautaire sera encore plus marquée que d’habitude. Pointée du doigt par une partie de la population, la base électorale de Paul Biya soutiendra massivement son candidat : c’est la logique du bouclier. Pour le reste, le climat quasi insurrectionnel et la faiblesse de l’opposition obligeront les baronnies habituellement loyales au régime, toutes communautés confondues, à renouveler la « sainte alliance ». Unies au pouvoir Biya par un pacte de corruption, elles feront passer leurs intérêts financiers avant leur allégeance ethnique. Les couteaux sortiront plus tard.

Mais la clé de la victoire du candidat Biya est dans le « grand nord » (Extrême-Nord, Nord, Adamaoua) du Cameroun, cette région peuplée, pauvre, faiblement éduquée, parfois difficile d’accès. Lors de la précédente présidentielle, en octobre 2011, parmi les quelque 2 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales dans cette zone, 1,5 million a voté pour Paul Biya. Ce chiffre est considérable quand on sait que celui-ci a rassemblé environ 4,8 millions de voix au niveau national (78 % des suffrages exprimés).

Pour avoir un début d’espoir de défaire Paul Biya à la régulière, l’opposition doit s’unir. Ses ressources étant limitées, cette opposition unie devrait se concentrer sur le Grand Nord, et construire un réseau de vigies capables d’exposer, en temps réel, d’éventuels cas de fraudes dans chaque bureau de vote du pays. Dans les grandes villes, l’impopularité du président sortant suffirait à mobiliser des inscrits abstentionnistes.

Chapelles puissantes

Mais, à trois mois d’une élection dont la date est connue depuis sept ans, je ne crois plus à une coalition de l’opposition. Les chapelles sont puissantes. La méfiance est grande entre états-majors des partis. La culture de la corruption est ancrée dans un paysage politique où les idéologies n’ont aucune place. Aucun leader de l’opposition n’est suffisamment légitime pour fédérer autour de lui et imposer un ordre. Une véritable coalition exigerait, au-delà de l’identité du candidat à la présidentielle, un accord sur un projet de gouvernement, une équipe gouvernementale, des candidats aux législatives, etc. Peu probable dans le temps imparti.

La vérité est qu’aucun candidat de l’opposition camerounaise ne croit à sa victoire à l’élection présidentielle. Mais chacun d’eux a un intérêt personnel à ce qu’elle se tienne, car elle constitue une sorte de primaire pour l’après-Biya. L’objectif inavoué de chaque opposant est de s’imposer aux yeux de l’opinion nationale et internationale comme l’alternative, hors système, au régime en place, le moment venu. Le bal des ambitieux aura donc lieu. Un bal dérisoire et indigne qui permettra, selon toute vraisemblance, la reconduction à la tête du Cameroun d’un président parmi les plus honnis du monde. Et avec elle l’accélération de la déchéance du pays.

Yann Gwet est un essayiste camerounais.