Didier Deschamps porté en triomphe par ses joueurs, le 15 juillet 2018 à Moscou. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Avant le début de la Coupe du monde, vous nous disiez être confiant concernant les chances de l’équipe de France. Qu’est-ce qui a motivé cet optimisme ?

Il y avait trois éléments. D’abord, en prenant connaissance des équipes, je trouvais que la France avait autant de talent, si ce n’est plus, que les favoris désignés, les « usual suspects » pour le titre que sont l’Allemagne, le Brésil, l’Espagne. Ensuite, Didier Deschamps avait construit – avant même l’Euro 2016 – un groupe tourné vers le même projet, le même objectif. A partir des talents à sa disposition, il a réussi à construire un groupe qui donnait l’impression d’être uni, efficace et pragmatique notamment dans les quelques situations où il a été en difficulté.

Enfin, il y a eu l’expérience de la finale perdue en 2016. Avec une telle défaite, vous souffrez et vous en tirez des leçons. Contre la Croatie, la France avait retrouvé ce statut de favori qu’elle avait connu face au Portugal. Elle l’avait peut-être mal géré à l’époque, elle l’a mieux appréhendé dimanche.

En 1984, on parlait des Bleus de Platini, en 1998 de ceux de Zidane. Cette équipe-là ne donne pas l’impression d’être construite autour d’une star. Vous êtes d’accord ?

Si on remarque bien, cette Coupe du monde a été la victoire du collectif sur les individualités. Les Messi, Ronaldo ou Neymar se sont arrêtés assez tôt. Les équipes qui sont allées loin sont celles où les talents étaient au service du collectif. C’est le cas de la France bien sûr, de la Belgique et de la Croatie. Avec un peu moins de talent mais un système bien organisé, les Anglais ont aussi réussi à attendre la demi-finale.

En équipe de France, Antoine Griezmann symbolise cet état d’esprit. Il a été une star au service de son équipe. Il a parfois été en difficulté au niveau offensif, mais il s’est arraché pour donner un coup de main au milieu, à la récupération et à la transmission avec une finesse qu’on ne le lui connaissait.

La réussite a aussi accompagné les Bleus. Diriez-vous que c’est propre à toutes les équipes ?

Vous savez, plus vous travaillez, plus vous avez de la chance. C’est un constat. Cette équipe a beaucoup travaillé avec une soif de vaincre et dans une ambiance saine. Ce n’est pas un groupe d’enfants capricieux, il n’y avait pas dissensions entre eux. La chance se provoque. En finale, certains peuvent dire que les Français ont raté leur match, mais ils n’ont pas raté le résultat. Et c’est ce que l’on retient à la fin. Sans contrôler cette finale, ils ont quand même marqué quatre buts. Sans être beaux, ils ont été bons.

Après le premier match contre l’Australie, Didier Deschamps amène d’ailleurs davantage d’expérience avec les retours de Blaise Matuidi et Olivier Giroud. Perçoit-il qu’il doit changer son fusil d’épaule, s’adapter ?

Une équipe, c’est une affaire d’équilibre. Le sélectionneur a senti avec Matuidi qu’il fallait rééquilibrer le milieu de terrain, lui donner davantage de garantie défensive et qu’il avait déjà assez de forces offensives. C’est tout le mérite d’un entraîneur comme Didier Deschamps : savoir changer, s’adapter à la situation.

« Je savais qu’il deviendrait entraîneur. C’était un milieu de terrain qui pensait toujours à l’équilibre et aimait orchestrer. »

Il existe deux compétitions dans une Coupe du monde. D’abord un mini-championnat de trois matchs et ensuite les rencontres à élimination directe, l’objectif était de passer cette première phase en terminant premier et en gardant de la fraîcheur pour la suite. C’est ce qui a été fait.

J’étais heureux qu’on ne commence pas trop fort. C’est bien qu’une équipe souffre un peu au premier tour, ça lui permet de s’unir dans la difficulté. Ceux qui démarrent très forts ne vont jamais très loin. Si on remarque bien, les Français sont montés en puissance lors de toutes les secondes périodes, ils ont toujours mieux terminé que leurs adversaires à partir des huitièmes de finale.

On a beaucoup parlé de la jeunesse de cette équipe avant la compétition. Finalement, elle a démontré que l’âge et l’expérience ne faisaient pas tout dans le football.

Quand j’entraînais Liverpool, j’ai eu Michael Owen comme attaquant et il me marquait des buts à 17 ans et demi. Le talent n’a pas d’âge. Quand vous êtes assez bon pour jouer, vous jouez. L’âge ne compte pas pour un Kylian Mbappé. Didier Deschamps a aussi encadré ces jeunes – qui progressent vite et sont à l’écoute – avec six joueurs qui étaient titulaires lors du traumatisme portugais de 2016.

Comme adjoint de Michel Platini, vous avez vu débuté Didier Deschamps comme international en 1988. Vous l’avez ensuite dirigé comme sélectionneur. Sentiez-vous déjà chez lui l’âme d’un futur entraîneur ?

Je savais qu’il deviendrait entraîneur. C’était un milieu de terrain qui pensait toujours à l’équilibre et aimait orchestrer. Quand il est devenu capitaine des Bleus, Aimé Jacquet me disait qu’il aimait beaucoup discuter avec lui des aspects tactiques. Un peu comme Steven Gerrard à Liverpool, Didier était déjà un peu entraîneur sur le terrain. C’est assez propre à des milieux de terrain de leur profil.

Didier Deschamps dit souvent que la défaite en 1993 contre la Bulgarie avait été peut-être le match le plus important de sa carrière. Ce mauvais souvenir l’avait aidé à se construire…

C’est quelqu’un qui a toujours su rebondir après l’échec. Le vrai talent, c’est le rebond. Dans sa carrière, rien n’a été facile pour Didier. Il s’est forgé dans la difficulté.