Au Maroc, la difficile quête du « zéro plastique »
Au Maroc, la difficile quête du « zéro plastique »
Par Ghalia Kadiri
Le royaume s’est engagé depuis 2016 à lutter contre la production et la distribution de sacs en plastique, dont il était le deuxième consommateur mondial.
Au moment où la guerre contre le plastique se mondialise, le Maroc aurait dû être un modèle de la lutte contre ce fléau qui pollue paysages et océans. Pourtant, deux ans après la loi interdisant la fabrication, la vente et l’utilisation de sacs en plastique dans le royaume, ils sont loin d’avoir disparu.
Selon une enquête publiée le 27 juin par l’association Zero Zbel (« zéro déchet » en arabe), dans le cadre d’un projet soutenu par ONU Environnement, les sacs en plastique sont encore largement utilisés dans les marchés marocains. L’étude, menée dans trois grandes villes dont la capitale économique Casablanca, a montré que 65 % des consommateurs utilisent cinq à quinze sacs en plastique à chaque fois qu’ils font leurs courses. Le ministère de l’industrie, qui défend un bilan satisfaisant, a finalement reconnu, dans un communiqué publié le 1er juillet, que « l’utilisation de sacs interdits persiste dans les souks, le commerce ambulant et non organisé ».
« Ces souks représentent justement le principal réseau commerçant où les Marocains font leurs courses. Le commerce non formel reste le principal réseau de distribution au Maroc », insiste Mamoun Ghallab, le président de l’association. Si les supermarchés et autres structures organisées s’en sont débarrassés, les sacs en plastique fabriqués dans des ateliers clandestins ou importés illégalement des pays voisins continuent de nourrir le circuit informel. « Les sacs de contrebande sont encore présents sur le marché. Donc si on refuse d’en donner aux clients, ils iront chez le voisin », témoigne un vendeur de fruits dans un marché casablancais.
Haute toxicité
La loi prévoit une amende allant de 200 000 à 1 million de dirhams (18 000 à 91 000 euros) pour les fabricants et entre 10 000 et 500 000 dirhams (910 à 45 500 euros) pour les distributeurs. « La police faisait des contrôles quotidiens pendant les six premiers mois de l’interdiction. Mais ça s’est essoufflé par la suite », poursuit le marchand.
Lancée le 1er juillet 2016, quelques mois avant la COP22 organisée à Marrakech, la législation baptisée Zero Mika (« zéro plastique ») devait permettre de lutter contre les nuées de sacs en plastique accrochées aux arbres, et qui cernent depuis plusieurs années les plages marocaines. Dans ce pays de 35 millions d’habitants, quelque 26 milliards de sacs en plastique, soit 900 par habitant, étaient consommés en moyenne chaque année jusqu’en 2016, faisant du royaume le deuxième pays utilisateur de cette matière dans le monde, après les Etats-Unis.
Pour l’association Zero Zbel, la seule dans le pays à militer contre la pollution liée aux déchets, la solution n’est pas de verbaliser les commerçants. « Dans la pratique, il est difficile de donner une amende aux marchands ne disposant pas d’un local officiel, assure Mamoun Ghallab. Les autorités doivent agir à la source, chez les grossistes. Car tant que la production illégale existera, les marchands continueront à prendre le risque. »
Plus grave, les sacs de contrebande sont beaucoup plus nocifs pour la santé. Les contrôles effectués par le ministère de l’industrie sur les sacs saisis par les autorités ont montré que les matières premières utilisées proviennent de plastique récupéré dans les décharges « ainsi que de matières premières hautement toxiques et nuisibles à la santé servant à la base à la production d’emballages de produits industriels divers », a mis en garde le ministère.
Depuis la publication de l’enquête indépendante de Zero Zbel, le gouvernement a annoncé le démantèlement d’un atelier clandestin de fabrication et la saisie de deux tonnes de sacs en plastique dans deux dépôts de Casablanca. En deux ans, 757 tonnes de sacs ont ainsi été confisquées.
Alternatives
Pour le moment, les alternatives au plastique sont loin de satisfaire les défenseurs de l’environnement. Et le Maroc ne dispose pas non plus de système de recyclage encadré par l’Etat. « Malheureusement, les principales options proposées sont des sacs non-tissés en polypropylène présentés comme écologiques or il s’agit de textile plastique », regrette M. Ghallab. Censés être réutilisables, ces sacs ne résistent pas tous aux lourdes charges et finissent par casser. Plus chers à produire que la matière plastique, une partie des sacs en polypropylène sont fabriqués en deçà de l’épaisseur légale et sont donc moins résistants et plus rapidement jetables : « Au bout de quatre jours environ, estime le président de l’association. Il faudrait impliquer d’autres acteurs et réfléchir à d’autres matières comme le tissu, des matériaux naturels réellement solides et donc réutilisables. »
Un projet de modification de loi devrait voir le jour, a promis Moulay Hafid Elalamy, ministre marocain de l’industrie et puissant homme d’affaires, lors d’une conférence de presse donnée le 3 juillet à Rabat. Ce jour-là, parmi les neuf représentants d’entreprise invités à réfléchir aux alternatives, huit provenaient de l’industrie de la plasturgie et seulement un acteur représentait les sacs en papier.