Au Mali, polémique autour de l’existence d’un fichier électoral parallèle
Au Mali, polémique autour de l’existence d’un fichier électoral parallèle
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
Electeurs et bureaux de vote fictifs : à quelques jours de l’élection présidentielle, l’opposition dénonce une « vaste tentative de fraude ».
A Bamako, une affiche de campagne représentant le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, candidat à sa réelection le 29 juillet. / Baba Ahmed / AP
C’est le premier rebondissement de la campagne présidentielle. Réuni en conférence de presse à Bamako, vendredi 20 juillet, le directoire de campagne de Soumaïla Cissé, principal challenger du président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), au scrutin du 29 juillet, a annoncé l’existence d’un fichier électoral parallèle. Un fichier qui serait, selon le staff du candidat de l’Union pour la république et la démocratie (URD), frauduleux et différent de celui audité par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) il y a quelques mois. A la fin d’avril, l’OIF l’avait certifié : « Le fichier électoral du Mali, contenant 8 000 462 électeurs répartis dans 23 041 bureaux de vote, est suffisamment fiable pour permettre la tenue des élections générales de 2018. »
« Vaste tentative de fraude »
« Nous sommes au regret de constater qu’il y a 275 761 doublons d’électeurs dans le fichier mis en ligne, a souligné Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de “Soumi”. Pour nous, la responsabilité du gouvernement est entachée de ce qui s’apparente à une vaste tentative de fraude tendant à prendre en otage le vote du peuple malien. »
L’opposition craint que ce fichier, accessible par des lignes de code sur le site Internet de la Direction générale des élections (DGE), ne serve de base à la compilation des résultats de l’élection présidentielle. Et que le jeu démocratique soit ainsi faussé.
« C’est faux et archifaux. Il ne s’agit pas d’une volonté de fraude, mais d’une erreur informatique. L’Agetic [Agence des techniques de l’informatisation et de la communication] héberge le fichier électoral. Il y a eu une erreur dans l’application permettant cet hébergement. Cela va être corrigé », répond le général Siaka Sangaré, président de la Direction générale des élections (DGE), l’organe chargé de la gestion du fichier électoral.
Le fichier vérifié par l’OIF est-il bien celui qui a été envoyé à l’Imprimerie de France, chargée de l’impression des 8 millions de cartes d’électeurs qui seront utilisées par les Maliens pour aller voter le 29 juillet ? Ou au contraire, est-ce le présumé fichier parallèle et frauduleux qui a été envoyé ? Le général Sangaré est formel : « Il s’agit du fichier audité. Constat d’huissier à l’appui. »
Quelques heures avant le début de la polémique, une rencontre avait été organisée entre Tiébilé Dramé et Soumeylou Boubèye Maïga, le premier ministre malien. Pour lever les doutes, le chef du gouvernement a notamment annoncé « la transmission de tous les documents relatifs au fichier audité, à la commande et à la livraison des cartes d’électeurs biométriques à tous les candidats ».
Mais la présence de doublons qui seraient contenus dans le présumé fichier électoral parallèle n’est pas la seule découverte annoncée par l’équipe de Soumaïla Cissé. « Vous avez également des bureaux de vote additionnels qui approchent le millier », a assuré M. Dramé.
Appel à la communauté internationale
Les corrections de cette « erreur informatique » promises par l’Etat malien suffiront-elles à calmer l’opposition ? Rien n’est moins sûr. « Il est évident que nous ne saurions nous contenter de solutions techniques, du genre “il y a eu des erreurs techniques ou informatiques” », avait prévenu M. Dramé lors de la conférence de presse.
« L’étendue des constatations, leur gravité, fait que des solutions techniques ne suffisent pas. Il faut des mesures politiques, avec l’implication des représentants de la communauté internationale », a-t-il poursuivi, sans détailler les mesures politiques souhaitées.
Pour ce scrutin attendu, l’Union européenne (UE), la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union Africaine (UA) et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont déployé des centaines d’observateurs. Aucune n’a pour l’heure réagi sur cette polémique. « Ce qui est complètement dingue dans cette histoire, c’est que le travail de vérification que nous avons fait, n’importe quel observateur aurait pu le faire », s’étonne un proche de M. Cissé.
Des observateurs internationaux qui, toujours selon Tiébilé Dramé, se seraient vu refuser l’accès aux centres de compilation des résultats par le gouvernement. L’Union européenne (UE), qui aura, le jour du vote, 80 observateurs sur le terrain, ne confirme pas ce refus mais reconnaît que des « déclarations contradictoires ont été formulées ». « Nous essayons d’obtenir des engagements fermes sur la présence des internationaux dans les commissions de compilation, conformément à l’accord qui a été signé avec le ministère des affaires étrangères malien », glisse un collaborateur de la mission.
Si les mesures attendues n’étaient pas prises avant le jour du vote, « Soumi » envisagerait-il de boycotter le scrutin ? « Je n’ai pas dit que Soumaïla Cissé allait boycotter le scrutin », corrige son bras droit. Ses proches le confirme : Soumi sera sur la ligne de départ. Car comme Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé « Boua » (« le vieux », en bambara), à 69 ans, Soumaïla Cissé sait qu’il jouera dimanche prochain sa dernière carte pour tenter de briguer la magistrature suprême.