Sida : les experts appellent à changer radicalement de stratégie
Sida : les experts appellent à changer radicalement de stratégie
Par Paul Benkimoun
Scientifiques et militants de la lutte contre le VIH estiment qu’il faut remettre en question l’approche spécifiquement centrée sur le sida et « faire cause commune avec le champ de la santé mondiale ».
La prévention contre le VIH est en crise, des populations particulièrement vulnérables continuent à rester hors d’atteinte du système de santé, et l’élan mondial, qui a permis de mobiliser des ressources sans précédents et de sauver des millions de vies, décline. Le modèle de l’exceptionnalité du VIH/sida qui prévalait depuis le début de la pandémie et a abouti à créer des programmes et structures spécifiques, n’y répond plus comme il le faudrait. Il doit laisser place à une approche où la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine serait intégrée dans des programmes de santé plus larges visant également les maladies qui lui sont liées.
C’est la conclusion à laquelle sont arrivés 47 experts impliqués dans la riposte à la pandémie qui a déjà tué plus de 35 millions de personnes. Après deux ans de travail dans le cadre d’une commission réunie à l’initiative de l’International AIDS Society (IAS), organisatrice des conférences internationales sur le VIH/sida, et l’hebdomadaire médical The Lancet, ils invitent à ce changement de paradigme.
Le fruit de leurs travaux paraît dans un numéro spécial de la revue publié vendredi 20 juillet. Parmi les signataires du document figurent l’actuelle présidente de l’IAS, Linda-Gail Bekker, et son prédécesseur, Chris Beyer, mais aussi l’ancien directeur exécutif d’Onusida, Peter Piot, et deux ex-directeurs exécutifs du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Michel Kazatchkine et Mark Dybul, ou encore l’ancien président d’Aides Bruno Spire.
« Dangereuse complaisance »
La tonalité est nettement distincte de celle des institutions internationales comme l’Onusida ou le Fonds mondial, qui mettent l’accent sur les incontestables progrès accomplis. La commission met en question le discours dominant ces dernières années centré sur la perspective d’en finir avec le sida.
Selon la commission, le battage sur cet objectif fixé à 2030 par les Nations unies a « alimenté une dangereuse complaisance et peut avoir précipité l’affaiblissement de la détermination mondiale à combattre le VIH ». Estimant que « les outils et les stratégies contre le VIH existants sont insuffisants et bien que des progrès spectaculaires puissent être obtenus en maximisant les stratégies actuelles de prévention et de traitement, la pandémie due au VIH va vraisemblablement demeurer un défi mondial majeur dans le futur proche », affirme le document du Lancet.
Peter Piot voit un reflet de cette complaisance dans l’aplatissement de la courbe des ressources financières, internationales et nationales, consacrées à lutter contre le VIH. « Nous sommes très préoccupés à l’idée de voir le monde proclamer une victoire bien avant que notre combat contre le sida soit achevé. Ce serait catastrophique, car nous avons vu des épidémies rebondir, par exemple le paludisme, dont on avait prévu l’élimination », met-il en garde.
Services intégrés
Allant plus loin que le rapport publié mercredi 18 juillet par l’Onusida, qui préconise de combiner une offre de prévention et de soin pour le VIH et pour la tuberculose, la commission prône des services intégrés qui répondent au VIH et les autres maladies qui partagent les voies de transmission, touchent les mêmes groupes à risque et coexistent souvent chez les patients. Une telle offre inclurait la santé sexuelle et reproductive, la tuberculose, les hépatites virales, les addictions aux drogues et les troubles mentaux, résume Chris Beyer.
Elle pourrait également être étendue à des maladies chroniques comme le diabète et l’hypertension artérielle (HTA). Les modélisations de la commission illustrent le rapport coût-efficacité positif d’une telle approche sur le VIH : par exemple, l’offre intégrée combinant dépistage du VIH, du diabète et de l’HTA sur dix ans permettrait d’éviter 69 000 infections en Afrique du Sud et 216 000 au Kenya. « Il n’y a jamais eu de campagne de prise de la tension artérielle dans mon pays », remarque Nduku Kilonzo, du Conseil national du Kenya pour le contrôle du sida, qui est l’une des signataires du document de la commission. Le débat est lancé.
Afrique du Sud : l’autodépistage anonyme du sida en test
Durée : 01:34