Macron sur l’affaire Benalla : « Le seul responsable, c’est moi ! »
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Depuis une semaine, l’actualité politique du pays est largement bouleversée par la révélation des actes de violence commis le 1er-Mai, place de la Contrescarpe, à Paris, par Alexandre Benalla, alors qu’il était chargé de mission employé par le cabinet de l’Elysée, et le manque de réaction de la part de l’Etat. A l’unisson pour une fois, l’opposition, de droite et de gauche, a promptement dénoncé « une affaire d’Etat ». De son côté, l’entourage du président s’est évertué à démentir pied à pied cette accusation, estimant, à l’image du premier ministre, qu’« une dérive individuelle de la part de ce chargé de mission ne fait pas une affaire d’Etat ».

Derrière cette passe d’armes, le terme d’« affaire d’Etat », qui n’est pas défini juridiquement, pose question. Depuis le début de la Ve République, qui donne des pouvoirs très forts au président de la République, les mandats exécutifs ont souvent été entachés d’une affaire d’Etat : Ben Barka pour Charles de Gaulle (1965), Markovic pour Georges Pompidou (1968), les diamants de Bokassa pour Valéry Giscard d’Estaing (1979), le Rainbow Warrior pour François Mitterrand (1985), les emplois fictifs de la Mairie de Paris pour Jacques Chirac (1999), Karachi pour Nicolas Sarkozy (20202), ou encore Cahuzac pour François Hollande (2012)…

Si la teneur des faits qui font que l’on parle d’une affaire d’Etat est variable – scandale diplomatique, corruption, népotisme ou autres violences –, il existe des ressorts communs qui permettent d’en distinguer les caractéristiques constitutives, selon Jean Garrigues et Olivier Rouquan, respectivement professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, et politologue et chercheur associé au Cersa.

  • Implication du plus haut sommet de l’Etat

En 1999, Lionel Jospin, alors premier ministre, se retrouve en première ligne après l’incendie de la paillote Chez Francis, dans le golfe d’Ajaccio, et la mise en cause dans cette affaire de trois gendarmes du groupe des pelotons de sécurité (GPS). Sa ligne de défense est claire : « C’est une affaire de l’Etat, ce n’est pas une affaire d’Etat. » Une distinction qu’il justifie par l’absence d’intervention au niveau de l’exécutif, c’est-à-dire « qu’il s’agisse du premier ministre, du ministre de la défense, de l’intérieur, du garde des sceaux », explique M. Rouquan.

Une différenciation qu’opère aussi M. Garrigues : « Une affaire d’Etat, c’est une affaire qui remet en question le pouvoir exécutif, et implique le sommet de l’Etat, pas forcément dans sa responsabilité mais dans son périmètre ». Dans l’affaire Benalla, « il s’agit de l’entourage très proche de Macron, ça pose question sur les choix de recrutement de l’exécutif et les privilèges accordés de manière imprudente », résume Jean Garrigues.

  • Une « idée qu’on veut protéger le pouvoir »

Derrière les faits révélés, souvent par voie de presse de manière « assez spectaculaire », selon Olivier Rouquan, c’est « la notion de dissimulation qui crée l’affaire d’Etat ». Le politologue opère en effet « une distinction en trois types » :

« Une affaire d’Etat peut être liée à la raison d’Etat, c’est-à-dire quand l’Etat de droit n’est pas respecté au nom de l’intérêt supérieur de l’Etat. Elle peut aussi exister lorsqu’il y a des intérêts privés qui outrepassent les intérêts de la nation. Enfin, c’est lorsqu’il y a l’idée qu’on veut protéger le pouvoir. C’est ce dernier cas qui est pertinent dans le cas de l’affaire Benalla ».

Ce constat est partagé par M. Garrigues, qui estime qu’« on est très loin d’une affaire des Irlandais de Vincennes [1982] ou des écoutes de l’Elysée [1983-1986], sous François Mitterrand, qui étaient des opérations en contravention totale avec la loi ». Mais derrière les faits qui, « d’un point de vue historique paraissent d’une gravité relative », il y a ce que l’historien appelle « le deuxième étage de la fusée », « comment l’affaire a été couverte, et la manière dont personne n’a prévenu le procureur ».

Dans le cas de l’affaire Benalla, « à ce jour, ce qui fait l’affaire d’Etat, c’est la gestion de l’affaire plus que son fond », résume M. Rouquan, qui note toutefois qu’on « ne sait pas encore tout : si lors des enquêtes, on découvre une filière de sécurité qui s’affranchit des règles de manière systémique, cela pourra créer une affaire plus vaste ».

  • Elle bouleverse l’ordre des institutions

Une affaire d’Etat provoque généralement un débat de société d’une ampleur qui conduit à « bousculer le fonctionnement des institutions », souligne l’historien Jean Garrigues. Une affaire d’Etat peut ainsi le devenir « à l’aune de la réaction politique qu’elle engendre, notamment par le contre-pouvoir parlementaire », note le politologue Olivier Rouquan. « C’est l’aspect positif des affaires d’Etat, elles permettent généralement au pouvoir législatif de se faire davantage entendre », abonde M. Garrigues.

En ce sens, l’affaire Benalla a bousculé l’agenda parlementaire, provoquant la constitution de commissions d’enquête et le report de la réforme constitutionnelle, au mieux à la rentrée de septembre.

  • Un révélateur d’une manière d’exercer le pouvoir

Ce qui peut transformer une polémique en affaire d’Etat tient aussi au contexte dans lequel les faits sont révélés. Dans le cas présent, « il y a un pouvoir qui se voulait exemplaire et qui montre un comportement amateur et informel », juge le politologue. Or, selon lui, Emmanuel Macron « a fondé sa légitimité sur le fait de régénérer moralement l’exercice du pouvoir ».

L’ampleur prise par les faits se justifie selon M. Rouquan comme « un retour de bâton lié à une déception populaire. » Les premiers sondages réalisés, notamment par BFM-TV, montrent un « choc » dans l’opinion publique, notamment parmi les électeurs de M. Macron au premier tour de l’élection présidentielle 2017.

« Le sentiment de défiance risque de grandir encore, c’est un fossé qui se creuse encore un peu plus entre les Français et l’exécutif », craint de son côté l’historien.

  • Une « parole politique forte »

Dès lors, comment prend fin une affaire d’Etat ? « Soit dans le brouhaha, soit dans une parole politique forte », estime Jean Garrigues.

Dans le premier cas, il s’agit de laisser l’affaire s’éteindre, en s’appuyant notamment sur la lenteur du temps judiciaire – il aura ainsi fallu neuf ans d’instruction dans l’affaire des écoutes de l’Elysée dans les années 1980, par exemple –, ou en trouvant des contre-feux pour « changer de sujet », souligne Olivier Rouquan. Pour l’affaire Benalla, « la stratégie d’extinction ne serait pas une bonne solution, car elle renforcerait l’idée d’opacité et d’autoritarisme », estime Jean Garrigues.

Dans le second cas, il s’agit « d’une clarification devant les Français par l’exécutif mis en cause », note l’historien, qui estime qu’il serait « plus stratégique pour le président de se livrer à un mea culpa à l’américaine ». « Même un président très régalien comme François Mitterrand acceptait la prise de parole au plus fort de la crise, pour s’adresser aux Français, les yeux dans les yeux », rappelle le politologue.

Le président de la République n’a pas choisi cette option. Pour l’heure, il s’est exprimé, mardi 24 juillet, devant des députés de la majorité, avant de faire quelques déclarations devant la presse, lors d’un déplacement dans les Pyrénées, le lendemain.

« Il y a un vrai problème de gestion d’opinion, qui laisse le doute s’installer sur la personne qui incarne le pouvoir », résume Olivier Rouquan.

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