A Pretoria, le 1er août 2018, avant le départ de l’une des dix-neuf manifestations de femmes contre les violences sexistes organisées dans toute l’Afrique du Sud. / WIKUS DE WET / AFP

« Je suis là pour plein de raisons. Premièrement, je suis une femme. Deuxièmement, je suis lesbienne. Troisièmement, j’ai été violée. » Comme des milliers de Sud-Africaines, Buthimelo Ntiho est descendue, mercredi 1er août, dans les rues de la capitale, Pretoria, pour dénoncer les violences à caractère sexiste. Au total, dix-neuf marches, réservées aux femmes et aux membres de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), ont été organisées à travers le pays, une première en Afrique du Sud.

Dans le pays de Nelson Mandela, où août est le « mois de la femme », les violences sexistes ont atteint ces dernières années des niveaux effroyables. D’après les statistiques de la police, une femme sur cinq fait l’objet de violences domestiques. En moyenne, une femme est violée toutes les treize minutes.

Buthimelo Ntiho, qui arbore une pancarte « Mon vagin n’appartient qu’à moi », a, elle, fait l’objet d’un « viol correctif », une pratique odieuse qui vise spécifiquement les lesbiennes dans les townships. « J’avais 15 ans. Celui qui m’a violée a été envoyé par une de mes amies, qui n’acceptait pas que j’aime les femmes. Ils sont venus me chercher à l’école. À l’époque, je n’ai rien dit parce que j’étais toujours dans le placard », explique cette étudiante de 22 ans.

« Blancs, Noirs, tout le monde est concerné »

« Les hommes sont des déchets », embraie Nomahlu Ubitimkhulu, 31 ans, accompagnée de sa fille de 4 mois enroulée dans une couette. « Il y a deux jours, son père s’est montré violent avec moi, et ça l’a fait pleurer. Je me suis dit : maintenant ça suffit, je l’emmène à la marche, lance-t-elle. Les hommes nous violentent devant nos enfants. Et ils leur font croire que c’est normal. Nous, les femmes, on doit s’ériger contre ça. »

Dans un pays encore travaillé par les divisions raciales, quelques Blanches se sont jointes au défilé. « C’est vrai qu’on n’est pas assez. En général, [les Blanches] ont peur de ce que les autres vont dire », regrette l’une d’elles, Hayley Walker, 41 ans, qui travaille dans une association de protection de l’enfance. « Dans mon travail, je vois très bien que, Blancs comme Noirs, tout le monde est concerné, poursuit-elle. Notre histoire commune est une histoire violente, et la séparation des familles pendant l’apartheid a aggravé ce qui se passe. »

Puis, à 13 heures pétantes, les « non, c’est non » scandés par les manifestantes, tout comme les traditionnels chants de lutte contre l’apartheid, se sont tus. Le cortège s’est assis en pleine rue pour observer une minute de silence. Plusieurs participantes se sont enlacées et ont essuyé des larmes. Toutes étaient invitées à porter du rouge et du noir en solidarité avec les victimes de violences.

Durcissement des peines de prison

« On est là pour dénoncer les féminicides, la maltraitance des enfants, le patriarcat. Et montrer que nous sommes juste épuisées par tout ça », explique l’une des organisatrices, Sibongile Mthembu, qui se félicite de l’ampleur de ce mouvement né sur les réseaux sociaux. « Tout est parti de Facebook il y a sept semaines seulement. On a formé un groupe entre nous, contre les meurtres de femmes, et plein de femmes se sont mises à nous rejoindre. On a ensuite eu l’idée d’organiser ces marches. »

Leur intention : dénoncer l’inaction du gouvernement et remettre au président Cyril Ramaphosa un mémorandum de vingt-quatre propositions. En haut de la liste, un durcissement des peines de prison pour les auteurs de violences sexistes. « La plupart des coupables sortent au bout de trois ou six mois. Certaines femmes obtiennent une ordonnance de protection mais meurent avec leur ordonnance à la main », explique l’organisatrice de cette manifestation dont les hommes ont été exclus.

Certains n’ont pas écouté la consigne et se sont tout de même joints au cortège. « C’est le moins que je puisse faire, d’accompagner mes sœurs et de montrer que tous les hommes ne sont pas des ordures », tente de justifier un intrépide quinquagénaire. Avant d’être rapidement interrompu : « Non, non, non, on a été claires, on a dit pas d’hommes ! Le fait que tu sois là montre qu’une fois encore nos souhaits ne sont pas respectés », l’invective Kalima Khubale, une présentatrice radio, vite rejointe par d’autres participantes manifestement très remontées. Et l’une d’elles de résumer : « Ça, c’est un homme qui n’a pas compris que non, c’est non. »