Le nouveau président zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, s’apprête à donner une conférence de presse à Harare, vendredi 3 août 2018. / Tsvangirayi Mukwazhi / AP

Editorial du « Monde ». Depuis qu’un coup d’Etat a renversé Robert Mugabe, en novembre 2017, la peur du pouvoir s’était atténuée au Zimbabwe. Cet espoir de changement, mélange de liberté d’expression retrouvée et de perspective de redressement économique, a soufflé pendant plusieurs mois.

Sur le plan économique, il ne fallait pas attendre de miracle : le chômage reste au plus haut, touchant près de 90 % de la population en âge de travailler de ce pays de 17 millions d’habitants. Sur le plan politique, si l’esprit de novembre n’est pas mort et que la campagne des élections générales du 30 juillet s’est déroulée dans un climat plus serein, l’après-scrutin montre que la transition sera plus compliquée que certains pouvaient l’espérer.

Certes, l’arbitraire et la répression politique qu’ont eu à subir les citoyens sous l’ancien régime ont diminué. Mais, à peine les bureaux de vote fermés, les Zimbabwéens peuvent constater que les vieux réflexes du pouvoir restent intacts. Une manifestation un peu chaotique de l’opposition dans le centre d’Harare, qui aurait pu être réglée avec des moyens classiques de maintien de l’ordre, a été écrasée lors d’une opération militaire, avec blindés et tirs sur les passants. Six morts sont à déplorer.

Parallèlement, les responsables de l’opposition sont interdits d’accès à leur propre siège, qui a été bloqué par les forces de sécurité sous des prétextes fallacieux. La combinaison de la mauvaise foi et de la violence, qui était l’une des marques du pouvoir exercé par Robert Mugabe, avait contribué à faire du Zimbabwe un Etat paria, en disgrâce aussi bien vis-à-vis des pays occidentaux que de la Chine. Son successeur, Emmerson Mnangagwa, affirme vouloir instaurer un « nouveau régime » où tout serait différent. Mais cette promesse paraît bien vaine lorsque beaucoup de postes-clés de l’administration et des forces de l’ordre restent occupés par ceux qui étaient en poste sous l’ère précédente.

Un pays à deux visages

Le nouvel homme fort du Zimbabwe affirme vouloir concentrer ses efforts sur le redressement d’une économie en ruine, gangrenée par la corruption, et dont les richesses minières n’arrivent pas à subvenir aux besoins d’une population affamée. Son volontarisme dans ce domaine est à porter à son crédit. Dans le même temps, M. Mnangagwa a adopté un ton apaisant, conciliant, qui tranche avec la rhétorique toxique de l’ère Mugabe.

Pour autant, il ne s’agit pas de « dé-Mugabiser » le Zimbabwe, ni même de songer à une alternance politique. L’objectif est simplement d’attirer les investisseurs étrangers. Mais l’économie n’est pas une entité virtuelle, déconnectée de la réalité politique. Or celle-ci reste aux mains d’une caste, au premier rang de laquelle les généraux, dont l’influence sur le pouvoir est devenue plus évidente depuis la chute de l’ex-président. Faut-il imputer les violences récentes à ces militaires et à une vision autoritaire de l’exercice du pouvoir ? Dans ce cas, il y a tout lieu de s’inquiéter pour le Zimbabwe.

Les élections générales du 30 juillet étaient un test pour le pouvoir, la mise en situation de ses intentions de construire ce « nouveau régime ». Mais, pour l’heure, c’est un Zimbabwe à deux visages qui se dessine : celui de l’ouverture et celui de la matraque. Pour que le premier l’emporte sur le second, il faudra encore du temps et de la vigilance, y compris lorsque les observateurs internationaux seront repartis. A Harare, le changement, ce n’est pas tout à fait maintenant.