Au Cameroun, l’impossible union des opposants de Paul Biya
Au Cameroun, l’impossible union des opposants de Paul Biya
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
A l’approche de l’élection présidentielle, le 7 octobre, les challengeurs du chef de l’Etat peinent à s’entendre sur une candidature unique.
De gauche à droite, les opposants camerounais Joshua Osih, Maurice Kamto et Akere Muna, candidats à l’élection présidentielle de 2018. / AFP
Au Cameroun, depuis trente-cinq ans, quels que soient les prétendants, une élection présidentielle se solde invariablement par la victoire d’un seul homme : Paul Biya, âgé de 85 ans. Le 7 octobre, il sera de nouveau en lice, face à huit autres candidats qui, malgré le constat précédent, ne semblent pas disposés à unir leurs forces pour inverser la tendance. Ces dernières semaines, les opposants se sont rencontrés à plusieurs reprises pour évoquer une éventuelle candidature unique, mais, à ce jour, aucun compromis n’a été trouvé alors que ce scrutin à un tour approche.
L’idée d’une coalition de l’opposition est pourtant « sur toutes les lèvres », pouvait-on lire récemment dans les colonnes du SDF Echo, le journal du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition : « Elle est devenue quasi obsessionnelle. Toutes les émissions de radio et de télévision, la presse écrite et numérique, les réseaux sociaux en font leur refrain de plus en plus assourdissant. » De l’avis de nombreux Camerounais, seule une candidature unique permettrait d’éviter les « dispersions de voix » face au président sortant.
« Si quelqu’un veut me soutenir… »
Mais tous les candidats de l’opposition ne partagent cette idée. « La coalition est bonne quand elle a un objectif politique », rappelle Joshua Osih, qui défendra les couleurs du SDF. En d’autres termes : à condition que les prétendants, au-delà de leur volonté de défaire l’actuel chef de l’Etat, s’entendent sur un programme commun. Ce qui n’est pas le cas.
Le candidat du SDF préfère s’appuyer sur d’anciennes statistiques électorales pour évaluer ses chances. Et plus précisément sur l’élection présidentielle du 11 octobre 1992, lorsque John Fru Ndi, président historique du SDF, avait récolté 35,9 % des voix, contre 39,9 % pour Paul Biya. Le SDF et de nombreux opposants ont toujours accusé le chef de l’Etat d’avoir « fraudé » afin de se maintenir au pouvoir. « Si quelqu’un veut me soutenir, je ne peux pas refuser », poursuit Joshua Osih. Le principal opposant est donc ouvert à une coalition, à condition d’en être le meneur.
Mais ce ne sera sans doute pas avec le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), le parti du candidat Maurice Kamto, considéré comme un sérieux challenger à Paul Biya. Cet ancien ministre délégué auprès du ministre de la justice, qui a claqué la porte du gouvernement en 2011, ne croit pas qu’il faille « impérativement une candidature unique de l’opposition ». « Cela valorise une fausse hypothèse : que Paul Biya est tellement fort et soutenu par l’opinion camerounaise qu’il faut impérativement se mettre à plusieurs pour l’inquiéter », explique Alain Fogue, trésorier du MRC.
Autre candidat, Akere Muna, fils du tout premier ministre anglophone du Cameroun, se dit quant à lui prêt à se désister. « Je continue de discuter avec les autres, ce sont de longues négociations qui demandent du temps et qui font entrer en jeu un certain nombre de paramètres », assure l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun.
« Chacun rêve d’être président »
« Une telle coalition est quasiment impossible », soutient Jean-Bruno Tagne, journaliste politique qui a reçu la plupart des candidats sur le plateau de son émission, « La Grande Interview », diffusée sur la chaîne de télévision privée Canal 2 international. « D’abord, il y a les égos. Chacun d’eux rêve d’être président de la République, observe-t-il. Et puis l’opposition n’est pas homogène. Il y a de véritables opposants, qui ont une stratégie et rêvent véritablement de renverser ce régime, et d’autres qui sont là simplement pour faire obstruction et apporter leur caution à une élection de Paul Biya. »
Pendant ce temps, Paul Biya a entamé dimanche 12 août un bref séjour privé en Europe, en compagnie de son épouse. Si bien qu’en son absence, lors de l’émission « 100 % présidentielle » diffusée par la télévision publique CRTV, les candidats en lice débattent avec les membres du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). « Les gens parlent en son nom. Cela veut dire que les Camerounais vont continuer de voter pour quelqu’un qui n’est même pas au courant qu’ils existent !, s’étrangle un observateur de la scène politique. C’est l’attitude de quelqu’un qui sait qu’il va être déclaré vainqueur par tous les moyens, même si on vote contre lui. »
Pour « éviter tout vol de voix » le jour du scrutin, prévient Alain Fogue, le MRC est en train de former des milliers de scrutateurs dans l’optique d’être présent dans chacun des 25 000 bureaux de vote. De nombreux autres partis lui ont emboîté le pas.
Bureaux de vote dans les casernes : des « nids de fraudes » selon l’opposition
Si au Cameroun les partis d’opposition sont divisés sur l’idée d’une candidature unique à l’élection présidentielle du 7 octobre, un thème les rapproche. Tous s’insurgent contre la mise en place de bureaux de vote dans les casernes militaires. Pour eux, ces bureaux sont « illégaux » et représentent des « nids de fraudes » en faveur du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Elections Cameroon (Elecam), l’organe chargé des élections, défend la légalité de ces centres de vote situés dans des espaces ouverts et publics, en accord avec la loi électorale.
« Nous avons l’expérience des précédentes élections. Nous avions alors envoyé des représentants dans les bureaux de vote logés dans les casernes. Ils avaient été chassés et brutalisés par les militaires. Ils n’avaient eu que leurs yeux pour constater les bourrages d’urnes et les falsifications des procès-verbaux », souligne Jean-Michel Nintcheu, député du principal parti d’opposition, le Social Democratic Front (SDF). Sa formation a appelé à une marche de protestation le 15 septembre à Douala.