Detroit : une ville pour les investisseurs qui n’ont pas froid aux yeux
Detroit : une ville pour les investisseurs qui n’ont pas froid aux yeux
Par Jérôme Porier
Obtenir une rentabilité locative supérieure à 10 % net est possible dans cette ville du Michigan (Etats-Unis) en pleine renaissance. Mais les chausse-trappes sont nombreuses.
Vue aérienne de Detroit. Au premier plan, le Tiger Stadium, le stade de baseball, sur Michigan Avenue. Au fond, le lac Saint Clair et le Canada. / BARRY HOWE/CORBIS/PHOTONONSTOP
Berceau de l’industrie automobile aux Etats-Unis, la plus grande ville du Michigan a connu son heure de gloire dans la première partie du XXe siècle, quand Ford, General Motors et Chrysler y concentraient l’essentiel de leur production. Après la seconde guerre mondiale, la ville a entamé son déclin. « Les classes moyennes et supérieures, essentiellement blanches, ont progressivement quitté la ville pour s’installer à la périphérie. En 1967, les émeutes raciales ont encore accéléré ce processus », raconte Henri Briche, doctorant en science politique sur les politiques de peuplement et l’attractivité résidentielle des villes en déclin.
Detroit, qui comptait 1,85 million d’habitants dans les années 1950, n’en recense plus aujourd’hui que 673 000. La crise immobilière et la crise du secteur automobile à partir de 2008 lui ont porté le coup de grâce, et la ville a dû se déclarer en faillite en 2013, avec plus de 18 milliards de dollars (15,53 milliards d’euros) de dette.
Son maire de 2002 à 2008, Kwame Kilpatrick, a même été condamné à vingt-huit ans de prison pour fraude et racket. En 2014, les fonctionnaires n’étaient plus payés, et notamment les policiers ; Detroit est devenue la ville la plus dangereuse des Etats-Unis, avec 14 504 crimes violents. Et c’est aussi est la plus pauvre des grandes villes : 42 % de sa population vivait en dessous du seuil de pauvreté en 2014.
Des signes de revitalisation
Cette année-là, le démocrate Mike Duggan, premier maire blanc de Detroit depuis 1974, a été élu pour remettre la ville sur pied. Dans sa tâche, il a bénéficié d’un coup de pouce de plusieurs milliardaires natifs de Detroit. Grâce à leurs investissements, le centre-ville reprend des couleurs. Dan Gilbert a ainsi dépensé plus de deux milliards de dollars depuis 2013 pour acheter une centaine de bâtiments dans Downtown, soit 70 % de ce quartier. La famille Ilitch, propriétaire de la chaîne de pizzerias Little Caesar’s, a également dépensé 2,1 milliards de dollars dans un gigantesque complexe sportif (la Little Caesars Arena) qui accueille les franchises de hockey (les Red Wings) et de basket (les Pistons).
Autre signal positif, Ford a confirmé en août son intention d’investir 740 millions de dollars pour restaurer l’un des lieux les plus emblématiques de la ville, la gare ferroviaire Michigan Central Station, pour y installer ses équipes dédiées à la voiture du futur. Ces dernières années, plusieurs grands groupes – dont Amazon, Google, Microsoft et Ikea – ont aussi décidé de s’implanter à Detroit.
INFOGRAPHIE « LE MONDE »
Résultat : le taux de chômage (7,8 %) a baissé, et ces nouveaux emplois attirent de jeunes diplômés venant de New York et de Chicago. Avec une petite révolution à la clé, cette population préfère s’installer en centre-ville plutôt que prendre quotidiennement sa voiture. C’est pourquoi les quartiers centraux (Downtown, Midtown, Corktown, Detroit East Riverfront) sont en plein de renouveau. Pour la première fois depuis le début de la crise, une nouvelle tour va même y être construite prochainement.
Forte rentabilité nette
Le redressement est enclenché, mais il s’annonce long et difficile. Il reste environ 80 000 maisons abandonnées à Detroit : un tiers de la ville est en friche, ce qui correspond à la surface de Paris. Déjà 14 000 ont été démolies depuis 2014, et la mairie prévoit d’en détruire autant chaque année. « La mairie a ciblé une poignée de quartiers à revitaliser en priorité. Ils sont situés à moins de 3 miles [4,83 kilomètres] du centre et peuvent être facilement reliés au centre-ville », explique Xavier Mosquet, responsable du secteur automobile au Boston Consulting Group (BCG), basé à Detroit.
« C’est dans ces zones qu’il faut investir. Je conseille de cibler, à l’ouest de la ville, les quartiers de Bagley et de Rosedale Park et, à l’est, Harper Woods et East English Village », recommande Rudy Noulé, fondateur de Detroit. immo. Installé dans la « Motor City » depuis 2013, ce Français a acquis et revendu près de deux cent trente maisons, profitant des prix « à la casse ».
Malgré une hausse de 400 % entre 2014 et 2018, le prix moyen du mètre carré ne dépasse pas 682 dollars (588 euros) à Detroit, quand il culmine à 4 417 dollars (3 808 euros) à Miami. « Ici, on peut trouver une maison rénovée de 120 mètres carrés partir de 60 000 dollars. Il s’agit, par exemple, d’une bâtisse en pierre avec trois pièces construite entre 1940 et 1960, qui peut être louée 850 dollars par mois, ce qui permet d’obtenir une rentabilité nette supérieure à 10 %. D’ici à cinq ans, son prix devrait être multiplié par 2,5 ! », poursuit M. Noulé.
« La ville est très vaste et il y a beaucoup d’opportunités, mais tous les quartiers ne se valent pas. Il ne faut pas acheter là où il y a trop de maisons vacantes, car les familles ne s’installent pas dans les endroits qui ne sont pas sûrs. Attention aussi car la plupart des maisons libres n’ont pas été habitées depuis au moins quarante ans. Le budget des travaux de rénovation est souvent supérieur au prix d’achat », indique Yoann Dorat, fondateur d’Elipsis realty. Cette société, qui accompagne des investisseurs français aux Etats-Unis, leur promet une rentabilité nette d’au moins 8 %.
Des chiffres très attractifs, qu’il faut cependant considérer avec précaution. Certes, l’imposition des loyers est faible aux Etats-Unis : la plupart des charges locatives peuvent être déduites, et les propriétaires qui louent bénéficient d’un abattement de 6 000 dollars par an. Cependant, trouver un locataire solvable n’est pas toujours évident compte tenu du taux de vacance élevé (23 %) et de la pauvreté des habitants.
De plus, il peut arriver que le logement loué soit dégradé par son locataire, plombant ainsi la rentabilité de l’investissement. Et les habitations les moins chères sont généralement situées dans des quartiers où la réputation des écoles est médiocre, un facteur clé de l’appréciation d’un bien immobilier pour les Américains.