Avec la retraite de l’Argentin Manu Ginobili, une page se tourne en NBA
Avec la retraite de l’Argentin Manu Ginobili, une page se tourne en NBA
Par Clément Martel
L’artiste argentin des San Antonio Spurs, quadruple champion NBA et champion olympique, quitte, à l’âge de 41 ans, un sport et une ligue qu’il aura marqués par son jeu élégant et imprévisible.
Il est parti comme il avait débarqué aux Etats-Unis…, discrètement, et au cours de l’été. Après quelques mois de tergiversation, le basketteur argentin des San Antonio Spurs, Emanuel « Manu » Ginobili, a annoncé mettre fin à sa carrière, lundi 27 août, par un communiqué sur Twitter.
A 41 ans, et après « vingt-trois ans d’un fabuleux voyage » l’ayant vu atteindre les sommets de son sport. A ce jour, Ginobili est l’un des deux seuls joueurs de l’histoire (avec Bill Bradley) à avoir remporté l’Euroligue, le titre NBA (à quatre reprises) et les Jeux olympiques. Quant à celui de champion du monde, il a manqué quelques longueurs à son Argentine en 2002 : après avoir défait les « invincibles » Américains sur leurs terres, « Gino » et les siens ont échoué en finale face à la Yougoslavie.
Autant que par son palmarès, c’est par son élégance et sa faculté à surprendre l’adversaire — il était un artiste de la feinte — que Ginobili aura marqué le basket du début de siècle. Après le départ du Français Tony Parker pour Charlotte, cet été, la retraite de Ginobili sonne la fin d’une époque pour les San Antonio Spurs, également privés de leur star Kawhi Leonard, parti pour Toronto.
Manu Ginobili's Top 10 Impossible Shots of His Career!
Durée : 03:02
Si l’Argentine est une terre de football, la ville de Bahia Blanca, sur la côte au sud de Buenos Aires, vibre pour le basket-ball. C’est là que Ginobili, alors gamin chétif, touche ses premières balles. Et se fait rapidement remarquer, par sa ténacité et la spontanéité de son jeu. A 19 ans, il quitte son pays natal, direction le sud de l’Europe, Reggio de Calabre, et la seconde division italienne.
Il participe à la montée du club dans l’élite et attire l’œil de R. C. Buford, le general manager des San Antonio Spurs, en NBA, à une époque où rares sont les franchises américaines à s’intéresser au Vieux Continent. Avec le 57e et antépénultième choix de la draft — processus de sélection par les franchises NBA des meilleurs espoirs du basket mondial —, le club texan mise, en 1999, sur cet arrière inconnu et choisit de le laisser mûrir en Europe.
En deux ans, Manu Ginobili atteint les sommets en décrochant l’Euroligue avec l’armada du Kinder Bologne, assortie du titre de meilleur joueur. Et lorsqu’il franchit l’Atlantique pour rejoindre la NBA, à l’été 2002, c’est auréolé d’une belle réputation. Pourtant, le défi est de taille : au début des années 2000, si la ligue américaine s’est déjà résolue à faire confiance aux grands intérieurs venus d’Europe, elle ne fait guère confiance aux arrières.
Sous le maillot des Spurs, « El Manu » remporte quatre titres (2003, 2005, 2007 et 2014), et forme avec le Français Tony Parker et Tim Duncan l’un des « big three » les plus importants de l’histoire. Le plus atypique, aussi, le trio n’hésitant pas à se moquer de lui-même dans des spots publicitaires texans.
« Laisser Manu être Manu »
« Si le génie est folie, c’est Manu Ginobili. » Lâchée, tel un haïku, après un numéro de funambule conclu d’un dunk de l’Argentin lors des finales NBA 2014, l’expression de l’entraîneur et consultant Jacques Monclar exprime le caractère unique du joueur. Un joueur spontané, capable, à ce titre, de tenir tête à son entraîneur, l’autoritaire Gregg Popovich, à ses débuts dans la ligue nord-américaine.
Après que le natif de Bahia Blanca a, une fois de plus, laissé libre court à son inspiration, oubliant les consignes du très ordonné « Pop », ce dernier s’exclame : « Je ne pense pas pouvoir le coacher ! ». Avant d’apprendre à cohabiter avec son joueur, laissant « Manu être Manu », mantra qu’il répétera à longueur d’années.
Ce dernier le lui rend bien, plaçant l’équipe au-dessus de tout. Alors que son statut et ses statistiques lui assureraient d’être titulaire dans la plupart des équipes NBA— avec une substantifique revalorisation salariale à l’appui —, le joueur s’épanouit dans un rôle de sixième homme (premier remplaçant).
Parallèlement à sa carrière aux Spurs, Manu Ginobili est le porte-étendard de la « generacion dorada » argentine. International depuis 1998, il amène l’Albiceleste au plus haut niveau. En 2002, lui et ses coéquipiers défont, en Argentine, les héritiers de la Dream Team américaine, première défaite de l’équipe américaine depuis le retour des professionnels de la NBA. Mais les Argentins échouent en finale, battus en prolongations par la Yougoslavie.
Deux ans plus tard, un Ginobili au sommet de son art mène ses partenaires à l’or olympique à Athènes — une médaille de bronze suivra en 2008 —, titre qui contribue à faire de l’artiste une icône en son pays. Fidèle à son maillot numéro 5 de la sélection, le joueur met un terme à sa carrière internationale après les JO 2016, qu’il boucle à plus de quinze points de moyenne, à 39 ans passés.
Ginobili, sur le toit de l’Olympe. / Marcos Brindicci / REUTERS
L’« euro step », sa marque de fabrique
Outre son caractère de compétiteur acharné et son sens du collectif, « Manu » quitte la scène en léguant au basket un geste bien à lui. Deux longs appuis, l’un à droite du défenseur, l’autre à sa gauche, avant de conclure au cercle, laissant son adversaire impuissant. Surnommé « Euro step » (le pas européen), ce mouvement est la marque de fabrique de l’Argentin, et les plus grandes stars actuelles y ont fréquemment recours. A commencer par James Harden, le MVP (meilleur joueur) de la saison passée, ou LeBron James. Lequel n’a pas manqué de le rappeler, dans son hommage au joueur qu’il a affronté trois fois en finale NBA : « Notre sport doit te remercier pour le mouvement le plus swag du moment au basket, l’Euro step. »
How Manu Ginobili Revolutionized the Eurostep in the NBA
Durée : 01:50
S’il n’a pas inventé ce pas, « Gino » l’a perfectionné et associé à sa personne pour une génération de fans, à l’instar du fade away jump shoot de Michael Jordan ou du dream shake de Hakeem Olajuwon. « Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu recours à mes longs pas latéraux, rapportait l’Argentin, il y a quelques années. Je jouais comme ça petit, puis en Italie, et personne n’en parlait. C’est en arrivant [en NBA] qu’on a donné un nom à ce mouvement et que les joueurs ont commencé à le reproduire. »
A l’instar du football, où les termes de « madjer » ou « panenka » sont entrés dans le langage courant, un jour viendra peut-être où l’on parlera de « ginobili » quand un joueur effacera son défenseur d’un double pas létal. En attendant, avec la retraite d’Emanuel Ginobili des parquets, c’est un pan de l’histoire du basket-ball de ce début de siècle qui se referme. Désormais, il ne reste que deux joueurs — Dirk Nowitzki et Vince Carter — à avoir entamé leur carrière avant 2000.