« 22 Miles » : Mark Wahlberg, agent secret à l’ère Trump
« 22 Miles » : Mark Wahlberg, agent secret à l’ère Trump
Par Thomas Sotinel
L’acteur interprète un tueur d’élite dans le film d’action au rythme frénétique de Peter Berg.
Les couples doivent faire des efforts pour ne pas s’enfoncer dans la routine. Peter Berg, réalisateur, et Mark Wahlberg, acteur, cherchent le dépaysement. En cinq ans de vie commune, ils sont allés en Afghanistan (Du sang et des larmes), dans le golfe du Mexique (Deepwater), le Massachusetts (Traque à Boston). Le monde tel qu’il est ne suffisant pas, les voici en Indocarr, contrée qui se distingue d’ores et déjà dans l’histoire du film d’espionnage – puisque c’est de cela qu’il s’agit – comme la détentrice du toponyme le plus ridicule.
Il n’est pas besoin d’avoir vécu très longtemps pour savoir qu’on ne voyage jamais qu’avec ses problèmes. En Indocarr comme ailleurs, Berg et Wahlberg trimballent leur goût pour la violence et la destruction, pour les tôles tordues et les chairs déchirées par des projectiles à haute vélocité. De ce point de vue, 22 Miles ne les aidera pas à sortir de l’ornière. Pourtant, ce film compact, frénétique, qui passe d’une séquence à l’autre de la concision chirurgicale à l’incohérence, révèle une texture intrigante, faite de reflets fugaces du temps présent et des signes visibles des circonstances de sa production.
On rencontre James Silva (Wahlberg) dans le jardin d’une villa, quelque part dans une banlieue américaine. A l’intérieur, ses collègues procèdent à la neutralisation d’un groupe russophone. Tous sont téléguidés depuis un local suréquipé par un coordinateur machiavélique (John Malkovich, coiffé d’une brosse rouquine). On comprend que ces gens-là agissent pour le compte de la plus grande démocratie du monde (dont quelques plans empruntés aux chaînes d’info en continu rappellent par qui elle est aujourd’hui dirigée) : ils sont en mesure de pénétrer dans toutes les intimités, électroniquement et physiquement, ils ont l’autorisation de tuer, et en usent largement.
Après qu’un montage nous a éclairés sur l’itinéraire de Silva, gamin surdoué et hyperactif, repéré par le gouvernement qui, plutôt que de lui prescrire de la Ritaline, en a fait un tueur d’élite, on retrouve le groupe, qui compte aussi dans ses rangs une mère (Lauren Cohan) désespérée de devoir sacrifier l’anniversaire de sa fille à une séance de torture dans les locaux de l’ambassade des Etats-Unis en Indocarr. L’Indocarr est un pays fascinant. D’abord à cause de son nom, qui lui a été probablement donné à la demande des financiers chinois de la production, soucieux de ne pas s’aliéner un allié, en l’occurrence l’Indonésie (on apprend que nous sommes en Asie du Sud-Est). Ensuite, parce que sa capitale est « interprétée » par Bogota, cité latino-américaine.
Absurdité intermittente
L’Indocarr est dirigé par des gens corrompus, que dénonce un transfuge, Li Noor (Iwo Ukais, star de la série des films d’action The Raid). Poursuivi par les autorités de son pays, détenteur d’un code qui permettra de retrouver des matériaux fissiles en balade, Li Noor doit être exfiltré par Silva et son équipe jusqu’à une piste d’atterrissage, distante de 22 miles de l’ambassade. Ce qui permet de parcourir – et de ravager – différents voisinages de cette ville hybride.
Pendant le trajet, les personnages ne parlent qu’en hurlant et en s’insultant. Mark Wahlberg parvient très bien à faire croire à l’hyperactivité de son personnage (un peu moins à son QI), Lauren Cohan donne à tous les conjoints traversant une rupture difficile une leçon en matière d’extériorisation des émotions (bien sûr, elle a l’avantage de disposer d’armes de gros calibre) ; seul Iwo Ukais ne se départ jamais d’un calme olympien. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi un garçon capable de tuer deux hommes armés alors qu’il est menotté à une table d’opération s’énerverait.
On peut attribuer l’absurdité intermittente du scénario à la désinvolture des auteurs, qui semblent espérer que, assourdi par le fracas des armes et des véhicules qui se carambolent, le spectateur passera sur des lacunes grosses comme le Ritz. Reste que l’amertume de la conclusion de 22 Miles, l’esthétique résolument sinistre du film et la volonté délibérée – par le biais d’images d’actualité, d’expressions empruntées au langage contemporain de la politique (collusion, compromission…) de l’inscrire dans le cours du temps en font un spectacle épuisant et inquiétant.
22 MILES (Mark Wahlberg) - Bande-annonce VF
Durée : 02:38
Film américain de Peter Berg. Avec Mark Wahlberg, Lauren Cohan, Iwo Ukais, John Malkovich (1 h 34). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/mile-22