« Il ou elle » : transgenre, pas de quoi en faire un drame
« Il ou elle » : transgenre, pas de quoi en faire un drame
Par Clarisse Fabre
Le film d’Anahita Ghazvinizadeh est la photographie subtile d’une famille américaine confrontée à la transition sexuelle d’un de ses enfants.
Sur ce sujet à fort potentiel dramaturgique qu’est la transidentité, surtout à l’âge délicat de l’adolescence, la réalisatrice iranienne Anahita Ghazvinizadeh a choisi la voie périlleuse du (presque) non-récit. Son premier long-métrage, Il ou elle, se situe le temps d’un week-end dans une maison familiale en banlieue de Chicago. Il y a J., un adolescent né garçon qui se demande s’il veut devenir fille. Il a pris un traitement réversible qui bloque la puberté, ce qui lui donne un peu de temps pour faire son choix. Ses parents s’absentent et sa grande sœur Lauren (Nicole Coffineau) vient s’occuper de lui avec son compagnon Araz (Koohyar Hosseini), d’origine iranienne. Lauren est artiste et cherche sa place, tandis que son ami est d’une certaine manière en transit. Tous les trois sont en suspension et c’est ce moment de fragilité que la réalisatrice choisit de capter, banalisant, au bon sens du terme, l’enjeu de la transition sexuelle. Celle-ci est un moment de construction.
L’air de rien, Il ou elle est politiquement subversif. D’ailleurs, on ne dit pas « il » ou « elle » pour désigner J. (he ou she en anglais) mais they, un neutre pluriel utilisé dans les pays anglo-saxons. Cinématographiquement, Il ou elle est un film délicat comme le poème que se récite intérieurement J. Dans la vraie vie, le jeune acteur qui joue J., Rhys Fehrenbacher, suit le chemin inverse de son personnage : il est né fille et se projette comme garçon. Il a accepté le rôle comme un défi.
Apparences changeantes
On ne peut s’empêcher de confronter Il ou elle à un autre premier long-métrage sur le même sujet, Girl, du Flamand Lukas Dhont (qui sortira en salle le 10 octobre). Multiprimé lors de la 71e édition du Festival de Cannes – Caméra d’or, prix d’interprétation de la section Un certain regard pour le comédien Victor Polster, Queer Palm, prix Fipresci des critiques internationaux – Girl est bâti sur un scénario de choc. Un adolescent en pleine transition, Lara, 15 ans, visage d’ange et silhouette longiligne de ballerine, doit réussir le concours d’entrée dans un corps de ballet. Girl carbure au suspense quand Il ou elle se révèle chimiquement comme une photographie. Une photo de famille où chacun essaie d’avancer dans sa vie à un instant précis.
La réalisatrice iranienne a mis du temps à assembler les pièces de ce puzzle. Née à Téhéran en 1989, elle a étudié les beaux-arts en Iran ainsi qu’à l’université d’art de Chicago. Elle a suivi des ateliers de cinéma animés par Abbas Kiarostami, lesquels vont marquer, explique-t-elle, son cinéma. Elle a réalisé une trilogie de « courts » qui explorent l’univers de l’enfance, parmi lesquels Needle (2013) – premier prix de la Cinéfondation à Cannes en 2013 – où il est question d’une jeune fille qui veut se faire percer les oreilles. En filmant J. et ses apparences changeantes, au gré de ses humeurs, Anahita Ghazvinizadeh montre l’espace-temps de l’enfance comme un moment d’incertitude autorisé.
Il ou elle (bande-annonce)
Durée : 01:39
Film américain et qatari d’Anahita Ghazvinizadeh. Avec Rhys Fehrenbacher, Koohyar Hosseini et Nicole Coffineau (1 h 20). Sur le Web : www.optimale-distribution.fr/movie/they, www.luxboxfilms.com/they et www.festival-cannes.com/fr/films/they