Les chasseurs « premiers écologistes de France » ? Histoire d’une communication politique
Les chasseurs « premiers écologistes de France » ? Histoire d’une communication politique
Par Simon Auffret
Afin de redorer leur image, les chasseurs tentent d’occuper le terrain des organisations de défense de l’environnement.
Une battue à La Chapelle-Glain (Loire-Atlantique), en février 2015. / JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
Depuis le 27 août, une question s’affiche en grand sur fond vert dans les couloirs du métro parisien, mais également à Lille, à Marseille, à Toulouse et à Lyon : « Les chasseurs, premiers écologistes de France ? » Sous le slogan de cette vaste campagne d’affichage de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), un début de réponse : « Ils participent bénévolement à la sauvegarde de la biodiversité de nos campagnes. »
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— ChasseursFrance (@Chasseurs de France)
Outre ces affiches, une bande-son est diffusée sur 850 radios locales, ainsi qu’une vidéo sur les réseaux sociaux. Dans ce petit film musical, les verbes « découvrir », « étudier », « protéger », « aimer » défilent à l’écran, sur fond de couchers de soleil, d’opérations de comptage d’oiseaux et d’animaux sauvages gambadant à travers de grands espaces : aucune image de fusils, pas le moindre cadavre de gibier. Le verbe « chasser » a lui-même été occulté.
Cette campagne, « sans précédent dans l’histoire » de la FNC, à en croire son président, Willy Schraen, vise à corriger l’image de la chasse, écornée par des critiques récurrentes visant la chasse à courre et les rappels au respect du bien-être animal. Ce dernier peut déjà se féliciter d’avoir obtenu de l’Elysée une division par deux du prix du permis de chasse, le 27 août, un épisode évoqué par Nicolas Hulot lors de l’annonce de sa démission sur France Inter, et qui a remis le lobby des chasseurs au cœur du débat.
Depuis quelques années, les chasseurs ont adopté une nouvelle stratégie de communication : ils utilisent désormais le vocabulaire des organisations environnementales, qu’ils n’ont pourtant eu de cesse de combattre depuis les années 1980. « Nous avons laissé le champ libre à nos détracteurs, qui utilisent les réseaux sociaux et le monde médiatique pour diffuser des contre-vérités et une image erronée de la chasse française », explique Willy Schraen en introduction du plan de communication, avant de claironner : « Nous sommes les premiers écologistes de France ! »
Une réponse à l’échec du combat politique
Ce changement de discours s’est progressivement installé à la fin des années 2000. Investir l’écologie est alors apparu comme un nouveau moyen pour les 1,1 million de chasseurs français de porter leurs revendications. Cette approche constituait une réponse à l’échec des mobilisations massives : en 1998, 150 000 chasseurs avaient défilé à Paris contre les directives européennes encadrant la chasse des oiseaux migrateurs et instaurant les zones protégées Natura 2000, en vain.
Cette nouvelle stratégie vise également à compenser l’essoufflement des mouvements politiques affiliés aux chasseurs : à la fin des années 1990, l’opposition avec les partis écologistes se jouait encore sur le terrain politique. En 1989, « la création de Chasse, pêche, nature et tradition [CPNT] est clairement une réaction à l’entrée des Verts en politique », notait en 2003 Paul Havet, ancien directeur de l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), dans une conférence intitulée « Comment réconcilier chasseurs et écologistes ? ». Mais depuis ses 4,23 % de voix obtenus lors de l’élection présidentielle de 2002, CPNT est en net déclin.
De l’eau a, depuis, coulé sous les ponts. Le combat s’est déplacé de l’arène politique aux sphères de la communication. Il s’agit aujourd’hui de gagner les cœurs. « On retrouve aujourd’hui des chasseurs qui contestaient, il y a vingt ans, la création des zones protégées Natura 2000, participant désormais à l’animation de ces mêmes territoires », explique au Monde le sociologue Ludovic Ginelli, membre de l’unité de recherche environnement, territoires et infrastructures de l’université de Bordeaux.
« Mais dans toutes ces nouvelles revendications, les chasseurs lambda ont gardé une ambiguïté sur leurs motivations, ajoute le sociologue. Ce positionnement se fait-il pour protéger la biodiversité ou pour développer l’activité cynégétique ? »
Légitimer une action sur l’environnement
Un scepticisme qui fait sourire Guy Guédon, président de la Fédération des chasseurs des Deux-Sèvres et administrateur de la fédération nationale, chargé de l’éducation à l’environnement : « Si notre engagement est aussi fort pour l’aménagement du territoire, c’est qu’il ne se limite pas à la chasse. Croyez-moi, on n’y passerait pas autant de temps. »
Au sein de sa fédération, les chasseurs consacrent chaque année soixante-dix-huit heures à des activités de « protection et de gestion de la biodiversité » : entretien des haies et des bords de chemin, remise en état de zones humides, etc. Au niveau national, la FNC revendique même un temps bénévole passé à « s’occuper de la nature » de « trente mille équivalents temps plein ».
Afin de rendre audible leur message auprès de l’opinion et des responsables politiques, les chasseurs s’appuient désormais sur des études. « Nous avons tout tenté, expliquait le président de la Fédération départementale des chasseurs de la Somme, Yves Butel, en 2005. Les manifestations, la politique, le droit : il ne nous reste plus que les études scientifiques. »
La fédération nationale cite ainsi, à l’appui de ses campagnes de communication, trois instituts désignés comme « [ses] organismes scientifiques » : l’Institut scientifique nord-est Atlantique (Isnea), l’Institut méditerranéen du patrimoine cynégétique et faunistique (IMPCF) et le Groupe d’investigation de la faune sauvage (GIFS). Principalement spécialisés dans l’observation et le comptage des oiseaux migrateurs, ces organismes sont amenés à produire les « faits quantifiables et vérifiables », voulus par Willy Schraen pour étayer l’argumentaire des chasseurs.
Une estimation difficile
La difficulté qu’il y a à définir précisément ce qu’est l’écologie et à évaluer rigoureusement les atteintes de la chasse à la biodiversité profite largement au discours des chasseurs. Ces derniers ne font d’ailleurs jamais mention, dans leur campagne, des animaux abattus chaque année, préférant le terme de « prélèvement ».
Pierre Maigre
« Il faut arrêter de prendre les résultats des études uniquement quand ils leur conviennent », soupire Pierre Maigre, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de l’Hérault : « Nous avons des éléments de mesure des populations par espèces, notamment fournis par les chasseurs. Mais où sont les chiffres précis sur les prélèvements ? »
L’ONCFS possède bien des tableaux de chasse annuels pour le gros gibier (sanglier, cerf, etc.) mais la mesure est plus difficile pour les autres animaux. Lors d’une enquête nationale sur la saison 2013-2014, seules soixante espèces sur quatre-vingt-dix chassables ont pu faire l’objet d’une estimation de « prélèvements ». Avec des écarts parfois importants : pour le faisan vénéré, l’estimation se situe par exemple dans une fourchette entre 78 029 et 143 477 animaux abattus. Du simple au double.
Cette évaluation est d’autant plus difficile à chiffrer qu’un type de chasse tend à échapper aux statistiques officielles : celle organisée dans les parcs de chasse, qui désignent les domaines dans lesquels sont organisées des battues privées. « On assiste à des locations, voire à de la sous-location de terrain, pour la chasse, pendant lesquelles les prélèvements sont souvent beaucoup plus nombreux », sans que cela soit mesuré, souligne Pierre Maigre.