Mostra de Venise : Paul Greengrass revient sur les attentats de Norvège
Mostra de Venise : Paul Greengrass revient sur les attentats de Norvège
Par Véronique Cauhapé (Venise (Italie), envoyée spéciale)
Avec « 22 July », diffusé sur Netflix, le cinéaste britannique s’interroge sur les dangers du nationalisme en Europe.
Le cinéaste britannique Paul Greengrass classe, à raison, ses réalisations en deux catégories. D’un côté, ses films de divertissement tels que La Mort dans la peau (2004) et La Vengeance dans la peau (2007), deuxième et troisième volets de la saga des aventures de Jason Bourne. De l’autre, ses films engagés qui tendent à témoigner des maux du monde et à tenir en alerte les consciences. Ceux-là sont plus nombreux et tombent, à espaces réguliers, tous les trois ou quatre ans : Bloody Sunday (2002), United 93 (2006), Green Zone (2009), Capitaine Phillips (2013).
C’est pour un long-métrage appartenant à cette seconde catégorie, et bientôt diffusé sur Netflix, que Paul Greengrass se retrouve cette année à la Mostra de Venise. Un film rude, soucieux des faits et de leur exactitude. 22 July, présenté mercredi 5 septembre, retrace le double attentat perpétré par Anders Behring Breivik, le 22 juillet 2011, en Norvège. Ce jour-là, cet ultranationaliste d’extrême droite de 32 ans fait exploser une bombe dans le quartier des ministères à Oslo qui fait huit morts, puis se rend aussitôt après dans un camp d’été de jeunes militants travaillistes sur l’île d’Utoya où il abat soixante-neuf personnes.
« Révéler l’ADN de notre époque »
Le film de Paul Greengrass débute, sans concession mais sans excès, sur ces tueries. L’insoutenable est le point de départ d’une réflexion que mène ensuite le réalisateur à travers une famille meurtrie par les attentats (et ayant existé) dont un des fils est revenu gravement blessé. Et à travers le long procès d’Anders Behring Breivik, d’abord diagnostiqué schizophrène par deux psychiatres mandatés avant d’être jugé pénalement responsable par une contre-expertise, obtenue sous la pression de l’opinion publique.
Jonas Strand Gravli dans « 22 July », de Paul Greengrass. / ERIK AAVATSMARK / NETFLIX
Ce procès détermine le ton du film et définit la démarche soutenue par le cinéaste. « Sans être didactique ou pédagogique, je voulais montrer les dangers que nous font encourir le nationalisme, le protectionnisme, le populisme auxquels l’Europe doit faire face aujourd’hui. Mais je souhaitais aussi montrer la façon dont la Norvège a réagi et a lutté pour sa démocratie », a-t-il expliqué. Je n’ai pas de slogan, ni de message à délivrer. Mais le cinéma, quand il n’a pas pour but de divertir – ce qui est aussi nécessaire –, doit montrer ce qui se passe dans le monde, révéler l’ADN de notre époque ».
« Tourbillon de violence »
Pour rendre compte du réel, Paul Greengrass s’est largement appuyé sur le livre de la journaliste norvégienne Asne Seierstad, One of Us: The Story of an Attack in Norway – and Its Aftermath, et sur la parole de victimes rencontrées par l’intermédiaire d’une association de soutien aux familles. Les échanges avec ces témoins ont guidé le travail du cinéaste tout au long de l’éboration de son film et durant le tournage, afin que soit respectée leur propre connaissance des faits.
Si la fiction doit être un passeur pour accéder au plus grand nombre, elle n’en demeure pas moins rigoureuse chez ce réalisateur britannique dont la mise en scène tient la barre droite, décline les effets et la démonstration. « Bien sûr que j’apporte ma vision mais ce que je cherche surtout à faire comprendre, c’est comment nous nous trouvons dans un tel tourbillon de violence et tenter de montrer les chemins que nous pouvons emprunter pour en sortir », explique Paul Greengrass.
« Aujourd’hui, les démocraties ont à lutter et à gagner contre ce qui les menace avec leurs arguments. Il n’y a pas d’arguments fixes, elles doivent trouver ceux qui défendront le mieux la façon de vivre à laquelle elles sont attachées. Nos grands-parents et nos parents savaient que le nationalisme peut annoncer la guerre. Les jeunes désormais doivent aussi le savoir. Je voudrais que ce film leur parle. » Les jeunes acteurs norvégiens, à l’affiche de 22 July, ont en tout cas clairement exprimé, à Venise, l’engagement que constituait pour eux leur présence dans le film.
22 JULY | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:46
Film américain de Paul Greengrass. Avec Anders Danielsen Lie, Jonas Strand Gravli, Jon Øigarden (2 h 23). Disponible le 10 octobre sur Netflix. Sur le Web : www.netflix.com/fr/title/80210932 et www.labiennale.org/en/cinema/2018/lineup/venezia-75-competition/22-july