« The Staircase (Soupçons) » : la justice, l’écrivain et le hibou
« The Staircase (Soupçons) » : la justice, l’écrivain et le hibou
Par Martine Delahaye
La série documentaire du réalisateur français Jean-Xavier de Lestrade dresse le portrait cinglant du système judiciaire américain.
Michael Peterson (à gauche) et son avocat David Rudolf. / WHAT’S UP FILMS
Aujourd’hui très prisées, en particulier aux Etats-Unis, les séries documentaires autour d’affaires criminelles (true crime stories) doivent beaucoup à Jean-Xavier de Lestrade. En effet, après avoir été oscarisé pour Murder on a Sunday Morning (Un coupable idéal, 2001), documentaire dans lequel il suit le procès d’un jeune Noir américain sans ressources accusé de meurtre, Jean-Xavier de Lestrade décide de ne pas s’en tenir là.
Il compulse les journaux, à la recherche d’une affaire à l’opposé du spectre social d’Un coupable idéal : un meurtre dont on accuserait un homme blanc aisé, reconnu dans sa communauté, à même de s’offrir les services d’un excellent avocat. Dans les deux cas, l’intention du réalisateur reste la même : filmer le système judiciaire américain en action, du point de vue de l’accusation comme de la défense – et non mener ou refaire l’enquête.
Fascinante histoire
Sans le savoir, Jean-Xavier de Lestrade embarque alors pour une entêtante aventure qui, plus de quinze ans durant, reposera sur les meilleurs ressorts… des fictions dramatiques : dissimulation, tromperie, haine, coups de théâtre, secrets et rumeurs, bravoure et bravades. Avec, pour personnages principaux, Michael Peterson, écrivain disert et distant accusé du meurtre de sa femme, et David Rudolf, son brillant et sympathique avocat ; tous deux étant assimilés à de nuisibles intellos new-yorkais par la communauté rurale de Caroline du Nord, où tout s’est joué.
Confronté à des centaines d’heures de tournage, Jean-Xavier de Lestrade fait le choix d’abandonner le format habituel du documentaire (quatre-vint-dix à cent vingt minutes). Et de monter cette fascinante histoire sous la forme d’une série documentaire, The Staircase (Soupçons). Une série au long cours, qui plus est : forte de huit épisodes en 2004, elle allait s’enrichir de deux nouveaux chapitres en 2013, et des trois ultimes en 2018, l’ensemble étant disponible tant sur Canal+ à la demande que sur Netflix.
Or, au-delà des aspects cauchemardesques et hallucinants que cette affaire révèle sur le processus judiciaire, il est une hypothèse, quant au coupable du meurtre, qui n’est pas évoquée dans The Staircase, faute de l’avoir été lors du procès de Michael Peterson. Tout d’abord jugée rocambolesque, elle lèverait le mystère qui a toujours subsisté quant à la façon dont est morte la victime, en décembre 2001.
Bizarrerie
Kathleen Peterson a été découverte morte, dans une mare de sang, au pied de l’escalier de sa maison. Avec sept lacérations sur l’arrière du cuir chevelu, mais sans aucune fracture crânienne ni hémorragie cérébrale. Qu’il s’agisse d’une simple chute, thèse de la défense, ou d’un meurtre commis par son mari, comment expliquer ces étranges lacérations ? Quelle bizarrerie que de se vider de son sang de cette manière ! Le plus vraisemblable ? Qu’un hibou de grande taille ait attaqué Kathleen Peterson par l’arrière, que celle-ci ait couru vers la maison, tenté de monter l’escalier, et soit tombée.
Jean-Xavier de Lestrade a tourné plusieurs heures autour de cette hypothèse auprès d’experts médicaux, de naturalistes et de personnes ayant subi ce type d’attaque. Peut-être en fera-t-il un film, un jour ? Il se voue pour le moment à la fiction, pour une série politique, Jeux d’influence, attendue en 2019 sur Arte.
« The Staircase (Soupçons) », de Jean-Xavier de Lestrade (Fr., 13 × 52 min).