Dans la frénésie de l’aéroport Charles-de-Gaulle, un jeune homme se faufile au milieu des valises. Il serre sous son bras Depardon USA. Arnaud Montagard, 27 ans, sort à peine du train qui le ramène des Rencontres d’Arles – où il a déniché le livre – qu’il s’apprête à s’envoler de l’autre côté de l’Atlantique. Originaire de Nancy, le globe-trotter vit depuis un an et demi à Brooklyn, où il se consacre à la photographie. Après une exposition en mai à l’International Center of Photography de New York, son travail sera présenté à la Saatchi Gallery de Londres du 13 au 16 septembre dans le cadre de la Start Art Fair, foire dédiée aux artistes émergents.

C’est pour immortaliser ses graffitis d’adolescent à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) qu’Arnaud Montagard achète son premier Reflex à l’âge de 15 ans. Mais à force de déambuler dans la ville à la recherche de nouveaux tags, ils se pique d’intérêt pour la photographie de rue. « Je me suis donc peu à peu détourné du street art pour photographier des passants », raconte-t-il.

« Vibration urbaine »

Désirant capter « la vibration urbaine » il se forme à la photographie en autodidacte, en parallèle de ses études de commerce à Marseille. Repéré sur Instagram, réseau social de partage de photos, il signe rapidement ses premiers contrats pour des shootings publicitaires et se lance à son compte dès la fin de son master. Cela fait désormais trois ans et demi qu’il vit pleinement de la photographie. Air France, Adobe, Veuve Clicquot, Sandro et quelques grands titres (Vogue, National Geographic Traveler) lui ont fait confiance. En parallèle, il poursuit son travail personnel : la photographie de rue à New York – qui continue d’attirer l’attention des marques comme des galeries.

L’itinéraire d’Arnaud Montagard intrigue car il a court-circuité le parcours traditionnel (école d’art-galerie-musées) grâce aux réseaux sociaux, en se faisant repérer d’abord par le public puis par les marques commerciales, avant d’intégrer les institutions. Il est ainsi représentatif d’une nouvelle génération, à l’image de Théo Gosselin et de Brice Portolano, passés, eux, par des écoles d’art. « J’ai beaucoup hésité à faire une école de photographie après mon master car les écoles d’art sont un atout indéniable pour se faire un réseau, témoigne-t-il. J’ai toutefois fait le pari de créer ces connexions autrement, grâce à Instagram et aux plateformes numériques. »

« Grand Central » (2017). / ARNAUD MONTAGARD

Ses images, diffusées sur les réseaux sociaux, ont en effet attiré l’attention d’agences de publicité – qui l’ont ensuite mis en contact avec les marques. Et son passage par la KEDGE – école de commerce dont beaucoup d’étudiants se dirigent vers le marketing – lui a ouvert des portes supplémentaires vers la photographie publicitaire.

Mais les galeries aussi participent au mouvement. En particulier « Open Doors Gallery », galerie londonienne 2.0 spécialisée dans la recherche de jeunes artistes sur Instagram. Elle présente et vend le travail de ses photographes sur une plateforme en ligne, tout en exposant ponctuellement leur travail dans des salons, comme la Start Art Fair.

Aplats colorés

La communication virtuelle lui a même ouvert les portes des musées. « Je pense que c’est aussi en découvrant mon travail sur Instagram que Kodak m’a contacté pour l’exposition Projected : Emerging Analog à l’International Center of Photography de New York », observe-t-il. Consacrée à la récente popularité de la pellicule chez les jeunes photographes, elle a en effet été co-organisée par Steve Carter, spécialiste des réseaux sociaux numériques chez Kodak.

Après avoir vécu en Ecosse et en Chine pour ses études, Arnaud Montagard s’est finalement installé à New York en janvier 2017. Vibrante et foisonnante, la ville lui plaît aussi « pour sa lumière brut, tranchée par les buildings ». Nourri par Saul Leiter, qui a su saisir les scènes de rues new-yorkaises dans leur fugacité, Arnaud Montagard travaille par aplats colorés. « Il sublime ces scènes en les faisant surgir hors du chaos de la ville », remarque Tom Page, responsable d’Open Doors Gallery.

Le photographe aime s’éterniser sous la voie aérienne du métro de Brooklyn ou au cœur des immeubles éclectiques de Midtown « qui projettent des ombres très géométriques »

Adepte du clair-obscur, le photographe aime s’éterniser sous la voie aérienne du métro de Brooklyn ou au cœur des immeubles éclectiques de Midtown « qui projettent des ombres très géométriques ». Lorsqu’il remarque des jeux d’ombres et de lumière intéressants entre les gratte-ciels, il note l’heure et l’embranchement des rues pour revenir saisir la bonne scène, au gré des passants.

Dans ses cadres graphiques, Arnaud Montagard guide l’œil par des contrastes lumineux très structurés. En cela, le peintre Edward Hopper reste pour lui une grande source d’inspiration : « Comme un projecteur, la lumière vient isoler le sujet. Et souligner son errance ». La solitude dans les grandes villes est en effet un thème cher au photographe. Seuls, souvent de dos, ses personnages semblent flotter dans la ville comme dans leurs pensées. « Je me suis mis à cadrer mes personnages de plus en plus loin, ajoute-t-il, pour montrer ces silhouettes perdues dans l’immensité urbaine ». Jusqu’au vide et au silence.

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