Le premier ministre hongrois Viktor Orban, le 11 septembre à Strasbourg. / VINCENT KESSLER / REUTERS

La droite européenne fait face à un choix historique, qui pourrait avoir des conséquences pour l’ensemble du paysage politique continental, et donc pour le scrutin de mai 2019. Mercredi 12 septembre, comme tous les eurodéputés, les 218 élus du Parti populaire européen (PPE), le rassemblement des partis conservateurs dans l’Union, devaient se prononcer pour ou contre le déclenchement d’une procédure exceptionnelle sur l’Etat de droit en Hongrie.

Il s’agit de l’article 7 des traités, qui peut être activé par la Commission européenne, le Conseil ou le Parlement, en cas de « risque clair de violation grave » de l’Etat de droit dans un Etat membre. Jugée radicale, même si elle n’a pas encore prouvé son efficacité, cette procédure n’a jusqu’à présent été lancée qu’une fois : à la fin 2017, par la Commission Juncker, contre le gouvernement polonais.

Or, pour la première fois depuis des années, d’éminents dirigeants du PPE ont désavoué Viktor Orban, le premier ministre hongrois, toujours membre du groupe (qui compte aussi dans ses rangs Angela Merkel ou Sebastian Kurz, le chancelier autrichien), bien qu’il soit devenu la coqueluche des extrêmes droites européennes.

Mardi 11 septembre, après un débat en plénière d’une rare violence, en présence de M. Orban, venu à Strasbourg défendre l’action de son gouvernement, et à l’issue d’une réunion de groupe mouvementée, Manfred Weber, le chef de file du PPE à Strasbourg, a indiqué que, pour sa part, il voterait « pour le déclenchement de l’article 7 », mercredi. Comme sept élus sur dix du groupe, selon les estimations faites mercredi matin.

Un peu plus tôt, Joseph Daul, le président du PPE – un Alsacien aussi discret qu’influent, réputé proche de la chancelière Merkel – avait tweeté : « L’Union européenne est fondée sur la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme et une société civile libre. Le PPE ne fera pas de compromis là-dessus, quelle que soit l’affiliation politique. »

Conserver la majorité

Le matin même, Sebastian Kurz, pourtant en coalition avec le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, extrême droite), un parti qui courtise M. Orban, avait lui aussi appelé à voter en faveur de l’article 7. Jusqu’à présent, MM. Daul et Weber s’étaient gardés de condamner frontalement les dérives de M. Orban, bien que, depuis 2010, son gouvernement ait été très régulièrement pointé du doigt par la Commission – pour sa réforme de la Constitution, de la justice, sa politique antimigrants ou les freins qu’il met à l’activité des ONG.

Leur argument ? Afin d’éviter qu’il n’évolue encore davantage vers les extrêmes, il valait mieux garder M. Orban dans « la famille ». Accessoirement, cela permettait de conserver la majorité au sein de l’Union, en agrégeant des sensibilités très droitières.

Que s’est-il passé pour qu’au sein du PPE, les lignes commencent à bouger ? Le PPE est, en réalité, divisé depuis longtemps sur le cas hongrois et le malaise a grandi d’un coup après la visite de M. Orban au ministre de l’intérieur italien et chef de file de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, à Milan, à la fin août. Notamment chez les eurodéputés PPE du nord de l’Europe et du Benelux. Désormais, même les élus de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel se divisent.

M. Weber avait déjà infléchi son discours ces derniers jours, conscient peut-être qu’il était difficile de briguer la présidence de la Commission – il s’est déclaré candidat à la succession de M. Juncker l’année prochaine –, gardienne des traités de l’UE, tout en continuant à défendre un chantre de l’« illibéralisme ». Seuls les Italiens de Forza Italia ont franchement appelé à voter contre l’article 7. Quant aux Français, ils restaient partagés mardi soir, certains refusant le principe de sanctions contre Orban.

Pourtant, le rapport parlementaire, sur lequel les eurodéputés devaient fonder leur vote, est sans concession. Rédigé par l’élue Verte néerlandaise Judith Sargentini, il énumère les menaces sur la liberté des médias, la remise en cause de l’indépendance de la justice, les attaques régulières contre les organisations non gouvernementales, le regain d’antisémitisme. Il dénonce aussi la politique migratoire d’Orban, qui refuse obstinément d’accepter le principe de solidarité européenne et d’accueillir des réfugiés.

Enfin, Viktor Orban n’a ouvert la porte à aucun compromis, à Strasbourg, mardi, même pas sur les récentes mesures législatives baptisées « Stop Soros », qui entravent le fonctionnement des ONG et des universités étrangères. Le premier ministre a, au contraire, accusé l’Union européenne de se livrer à un « chantage » et a estimé que l’Assemblée de Strasbourg avait décidé, avant même de l’entendre, « de condamner un pays et un peuple » sur la base d’un rapport qui bafouerait leur honneur. Il s’est décrit en premier défenseur de « la nature chrétienne de l’Europe, de la nation, de la famille, de la lutte contre la migration ».

Fait significatif de la place qu’il occupe désormais sur l’échiquier politique européen, il n’a été soutenu, lors du débat mardi, que par les élus d’extrême droite et anti-UE. Le Britannique Nigel Farage lui a proposé de rejoindre « le club du Brexit ». Le Français du Rassemblement national (RN, ex-FN) Nicolas Bay, l’a invité à être, « avec Salvini, le fer de lance d’une autre Europe ».

Quelles conclusions les caciques du PPE allaient-ils tirer d’un vote positif au Parlement européen sur l’article 7 ? Iraient-ils jusqu’à exclure M. Orban, et à tirer par la même occasion une « ligne rouge » entre eux et les mouvements populistes ? Avant le vote, les avis étaient d’autant plus partagés que les deux tiers des suffrages exprimés sont nécessaires pour un déclenchement de la procédure.

Une décision de « suspension » pourrait être prise dès la semaine prochaine, lors d’un sommet du PPE à Salzbourg (Autriche), le 19 septembre, suggérait une source interne. « Personne n’en sait rien », affirmait une autre voix, un peu discordante. « Je ne quitterai jamais le PPE, c’est [le chancelier allemand] Helmut Kohl qui m’a invité à y entrer, et il est mort », a mis en garde M. Orban, mardi soir.

Les dirigeants du PPE redoutent, s’ils évincent M. Orban, de créer un espace à leur droite, alors que, de M. Salvini à l’Américain Steve Bannon, beaucoup rêvent d’un ralliement du Hongrois en vue de la création d’une union des extrêmes. Et de faire le jeu d’Emmanuel Macron, qui a fondé en partie sa stratégie européenne sur l’éclatement du PPE. « Macron est en train de se servir de notre faiblesse pour détruire le PPE », a lui-même relevé M. Orban, mardi soir.