Le vote contre la Hongrie « risque de renforcer les convictions d’Orban et des anti-UE »
Le vote contre la Hongrie « risque de renforcer les convictions d’Orban et des anti-UE »
Notre correspondante à Bruxelles, Cécile Ducourtieux, a répondu à vos questions sur le vote-sanction européen contre la Hongrie de Viktor Orban.
L’eurodéputée néerlandaise Judith Sargentini (au centre), à qui l’on doit le rapport sur la politique du premier ministre hongrois, Viktor Orban, à Strasbourg, le 12 septembre. / VINCENT KESSLER / REUTERS
Correspondante du Monde à Bruxelles, Cécile Ducourtieux a répondu aux questions des internautes sur le vote, mercredi 12 septembre, des députés européens en faveur du lancement d’une procédure contre la Hongrie pour violation de l’Etat de droit.
Florent : Quelles peuvent être les conséquences concrètes de la procédure pour la Hongrie ?
Cécile Ducourtieux : L’article 7 des traités de l’Union européenne (UE) est une procédure particulièrement complexe. Et politique. Après le vote du Parlement européen hier, qui initie la procédure, c’est désormais au Conseil européen (les Etats membres) de s’en saisir. Pour décider s’ils la poursuivent, au motif, qu’eux aussi s’inquiètent d’un « risque clair de violation grave de l’Etat de droit » en Hongrie, ou pas. Pour poursuivre la procédure et donc entrer dans un dialogue avec Budapest, les pays doivent se prononcer à une majorité des 4/5es du Conseil européen.
Mais pas grand monde ne croit, à Bruxelles, que les capitales vont franchir le pas. Elles craignent qu’en mettant Budapest sur le banc de touche, le gouvernement Orban se mette à bloquer toutes les discussions au Conseil : Brexit, budget de l’Union européenne… Donc les conséquences du vote de mercredi pour la Hongrie sont surtout symboliques : les eurodéputés, donc les représentants du peuple européen, à une large majorité, estiment que le premier ministre Orban dévie trop des principes de l’Etat de droit.
Didtou : Maintenant il faut un vote des 4/5es des pays membres au conseil européen. Ce qui représente 23 pays sur 28. Qui sera contre hormis la Hongrie ?
La Pologne devrait être contre également, puisqu’elle est sous le coup de la même procédure « article 7 ». C’est son chef de la diplomatie, Jacek Czaputowicz, qui l’a déclaré aujourd’hui. Il a dit qu’il serait à la fois contre la discussion sur les problèmes d’Etat de droit en Hongrie au Conseil et contre d’éventuelles sanctions – menée à son terme, la procédure « article 7 » peut conduire à une suspension des droits de vote du pays incriminé.
Impossible de dire, au-delà de la Pologne, qui, au Conseil, va prendre le parti de M. Orban. Mais les gouvernements sont très frileux pour dénoncer les agissements des uns et des autres quand ils se réunissent à Bruxelles. Ils craignent toujours ce qu’on appelle le « précédent » : qu’à montrer trop du doigt le voisin, un jour celui-ci lui rende la pareille. Or, d’autres gouvernements sont sur la sellette en ce moment, la Roumanie par exemple. Les Espagnols, aussi : ils sont tétanisés à l’idée qu’on leur reproche un jour au conseil leur gestion de la crise catalane.
Sacha : Sanctionner la Hongrie ne risquerait-il pas de renforcer les convictions d’Orban et des anti-UE ?
C’est évidemment un risque. M. Orban a livré un discours très brutal, sans concessions, mardi 11 septembre au Parlement de Strasbourg. On pensait qu’il tenterait de convaincre les élus, notamment les conservateurs, du même parti paneuropéen qu’eux, qu’il allait amender sa politique antimigrants, sa législation « Stop Soros » qui met des bâtons dans les roues des ONG d’aide aux réfugiés, mais il n’en a rien été.
Il a au contraire insisté sur la « volonté du peuple hongrois » qui primait sur les règles de l’Union. Il a discrédité le rapport de la députée néerlandaise Judith Sargentini (« un tissu de mensonges »), et s’est focalisé sur la question migratoire, alors que la Hongrie est aussi dans le viseur de l’Union pour la liberté de la presse, la réforme de sa Constitution, etc. Va-t-il accepter de revenir sur sa politique après le vote d’hier ? C’est peu vraisemblable. « Je ne vais pas envisager de compromis, [ces lois Stop Soros] étaient une décision des Hongrois », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse, mardi à Strasbourg.
Fallait-il pour autant ne pas voter cet article 7 ? Une large majorité d’eurodéputés, dont plus de la moitié des effectifs du groupe PPE, ont estimé que non. Et de fait : jusqu’à présent, la tolérance des institutions européennes à l’égard de Viktor Orban ne l’a pas empêché de devenir, depuis son retour au pouvoir en 2010, un chantre de l’illibéralisme.
Samtana : Quelles sont les avancées du déclenchement de l’article 7 contre la Pologne aujourd’hui ?
L’article 7 a été « recommandé » par la Commission européenne en décembre 2017. Mais la première audition de la Pologne sur le fond n’a été programmée par la présidence bulgare du Conseil européen que fin juin 2018… La réunion n’a débouché sur aucune conclusion, hormis le fait qu’il était nécessaire de reparler du cas polonais dans le cadre d’un conseil des ministres des affaires européennes, cet automne. Par ailleurs, le gouvernement ultraconservateur du PiS en place à Varsovie a annoncé au printemps, le premier vice-président de la Commission, qu’il n’avait pas l’intention de reculer sur les grands principes de la réforme de la justice, dans le collimateur de la Commission.
Louis : y a t-il un risque que la Hongrie déclenche une sortie de l’UE, et que représente exactement la sanction ?
L’article 7 peut certes déboucher sur une suspension des droits de vote au Conseil de la Hongrie (ou de la Pologne). Mais c’est hautement improbable puisque cette décision, qui équivaut à une exclusion de fait de l’Union, doit être décidée à l’unanimité des pays membres (moins le pays visé). Par ailleurs, on n’est pas du tout dans le cas britannique. La Hongrie dépend beaucoup des fonds structurels européens – ils pèsent annuellement 4,4 % de son produit intérieur brut et la moitié de ses investissements publics. M. Orban le répète souvent : il ne veut pas quitter l’Union, il veut la changer.
Anonyme : Est-ce que cette décision ne risque pas de cliver l’Europe entre les pays du groupe de Visegrad et l’Italie et les pays « progressistes » à moins d’un an des élections européennes ?
Ce risque existe. Même si quand on analyse les votes d’hier au Parlement européen, on s’aperçoit que le clivage est-ouest était peu opérant. Les Polonais du PPE ont par exemple massivement voté pour le déclenchement de l’article 7. Ceux qui ont voté contre ou se sont abstenus sont plutôt à rechercher du côté des élus espagnols, italiens ou français du parti des droites européennes.
Titi Magyar : En quoi ce vote (et éventuellement celui du Conseil européen) pourrait venir impacter le prochain budget et, de fait, les fonds attribués à la Hongrie ?
Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que des gouvernements comme le français ou l’allemand militent depuis des mois pour que dans le cadre du prochain budget européen pluriannuel, les fonds alloués aux pays soient conditionnés au respect de l’Etat de droit. La commission Juncker a même fait une proposition dans ce sens. Mais ni cette proposition ni le budget pluriannuel (2021-2027) n’ont commencé à être négociés à Bruxelles. En tout cas, pour Paris et Berlin qui savent bien que l’article 7 est une procédure très compliquée à mener à son terme, faire planer la menace d’une suspension future des fonds, est considéré comme le meilleur moyen de tenter de « contenir » les dérives de M. Orban. Ou du PiS en Pologne.
Gaspard : Le PPE vient clairement de sanctionner Orban, qui fait pourtant partie de ses rangs. Est-il possible que le parti choisisse de l’expulser après ce vote ?
Bonne question, celle que tous les élus du Parlement de Strasbourg se posent depuis hier, à commencer par ceux du PPE. Ils sont partagés : certains de leurs dirigeants – Joseph Daul, son président, Manfred Weber, le président du groupe PPE à Strasbourg – sont excédés par l’attitude de Viktor Orban, qui refuse désormais de reculer sur ses législations contraires aux valeurs de l’Union. Il est devenu un « boulet », vraiment trop populiste, trop en contradiction avec l’ADN du parti : pro-européen et chrétien-démocrate.
Le problème, c’est que la procédure d’exclusion prévue dans le règlement du PPE est fastidieuse (il faut qu’au moins sept partis issus de cinq pays différents la demandent). Certains espèrent que M. Orban va finir par partir de lui-même. Il y a aussi ceux qui refusent de tomber dans un piège que leur auraient tendu les socialistes européens. Mais Si M. Orban est désormais considéré comme une partie du PPE comme un « mouton noir », il a quand même en grande partie gagné la bataille des idées. Tout le monde, à droite, même au centre de l’échiquier européen, estime, comme lui, qu’il faut fermer les frontières de l’UE.