A Munich, les conservateurs de la CSU veulent se démarquer de l’extrême droite
A Munich, les conservateurs de la CSU veulent se démarquer de l’extrême droite
Par Thomas Wieder (Munich, envoyé spécial)
A un mois des élections régionales, les responsables de l’Union chrétienne sociale (CSU) ont choisi de lisser leur discours lors de leur congrès.
Markus Söder, ministre-président de Bavière, après son discours. / CHRISTOF STACHE / AFP
Franz Josef Strauss est mort il y a trente ans. Mais celui que l’on surnommait le « taureau de Bavière », charismatique président de la très conservatrice l’Union chrétienne sociale (CSU), sur laquelle il régna sans partage de 1961 à 1988, reste une référence indépassable dans ce Land du sud de l’Allemagne. Samedi 15 septembre, il était donc naturel que son lointain héritier, Markus Söder, ministre-président de Bavière, lui rende un hommage appuyé lors du congrès de la CSU organisé à Munich un mois avant les élections régionales du 14 octobre.
Dans son discours, M. Söder ne s’est pourtant pas contenté de saluer l’homme qui a fait entrer « l’Etat libre de Bavière » dans la « modernité », en la faisant passer de « l’âge rural » à « l’âge industriel », avant que ses successeurs n’en fassent « le Land le plus fort et le meilleur d’Allemagne », celui qui « produit les meilleurs voitures du monde », celui qui a réussi l’alliance de « l’ordinateur portable et de la culotte de peau », bref, une région si « pleine de succès » que « tout le monde veut y venir ».
A la tribune, Markus Söder est en effet allé plus loin. Comme il l’a rappelé, Franz-Josef Strauss est aussi celui qui, dans les années 1980, avait déclaré qu’« il n’y a pas de place pour un parti démocratique à la droite de la CSU ». A l’époque, la phrase était dirigée contre les Republikaner, une petite formation qui tentait de tailler des croupières à la CSU sur sa droite, en s’adressant à ses électeurs déçus. Or, trente ans plus tard, l’histoire se répète : avec le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), la CSU a un nouveau concurrent sur son flanc droit. Mais un concurrent autrement plus sérieux que les Republikaner, qui n’ont jamais dépassé les 2 % des voix, alors que l’AfD, elle, est créditée de 11 à 15 % aux prochaines élections bavaroises, un an après avoir recueilli 12,4 % des suffrages aux législatives de septembre 2017.
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Changement de stratégie
Que faire pour endiguer la montée de l’AfD ? A un mois du scrutin, Markus Söder s’est donc souvenu du « dogme » de Franz-Josef Strauss. Si « aucun parti démocratique » ne peut exister « à la droite de la CSU », c’est donc que l’AfD est, par nature, un parti antidémocratique. C’est ce qu’il a martelé à Munich, en se référant pour cela aux récents événements de Chemnitz (Saxe), théâtre de violentes manifestations d’extrême droite depuis la mort d’un Allemand de 35 ans, poignardé en pleine rue dans la nuit du 25 au 26 août après une altercation avec des demandeurs d’asile. Or à Chemnitz, a expliqué M. Söder, l’AfD « a manifesté côte à côte avec le [parti néonazi] NPD, [le mouvement islamophobe] Pegida et les hooligans ». Ce faisant, le parti a montré sa « vraie nature », qui n’est pas de lutter pour la sécurité du pays mais d’œuvrer pour sa « déstabilisation ». Pour M. Söder, cela ne fait aucun doute : « Aujourd’hui, Franz Josef Strauss combattrait l’AfD ». Un message aux électeurs conservateurs qui pourraient être troublés par certaines affiches de l’AfD où apparaît le visage du « taureau de Bavière », accompagné de ce slogan : « Franz Josef Strauss voterait AfD. »
Quelle sera l’efficacité d’un tel discours ? Trop tôt pour le dire. En revanche, il est clair que cette offensive anti-AfD lancée par la CSU à un mois du scrutin résulte d’une prise de conscience : celle de l’échec de la stratégie suivie jusque-là par le parti conservateur bavarois et qui consistait, au contraire, à parler le moins possible de l’AfD tout en collant le plus possible à son discours, dans l’espoir que cela permettrait d’en limiter la montée. Or cette stratégie, décidée au lendemain des législatives de septembre 2017, a été sanctionnée dans les sondages : depuis le début de l’année, l’AfD a légèrement progressé, alors que la CSU, elle, a chuté de plus de cinq points. Une baisse qui s’explique en partie par le rejet suscité par sa course « à droite toute » auprès d’un électorat modéré qui, aujourd’hui, se dit prêt à voter pour d’autres, et notamment pour les Verts, crédités de 15 à 17 % des voix dans les dernières enquêtes d’opinion, et qui pourraient s’imposer comme la deuxième force politique au parlement régional.
Un recentrage plutôt apprécié
C’est donc avec ce discours débarrassé des accents populistes de ces derniers mois que la CSU aborde cette fin de campagne. A Munich, M. Söder a ainsi soigneusement évité de dénoncer le « tourisme de l’asile », expression qu’il avait empruntée à l’AfD il y a quelque temps, préférant rendre hommage à « celles et ceux qui aident les réfugiés ». A la même tribune, deux heures avant lui, Horst Seehofer, le président du parti, nommé en mars ministre fédéral de l’intérieur, avait lui aussi choisi le même registre.
Vantant sa politique de fermeté, notamment sur les reconduites à la frontière de demandeurs d’asile sans autorisation de séjour, M. Seehofer s’en est tenu à un discours consensuel, expliquant que la politique migratoire devait être fondée sur « l’ordre » et « l’humanité », et que seule une « immigration contrôlée » pouvait permettre une « intégration réussie ». On en aurait presque oublié que, dix jours plus tôt, le même M. Seehofer avait déclaré, dans une interview à la Rheinische Post, que « la question migratoire est la mère de tous les problèmes politiques du pays ».
Accusé de complaisance à l’égard de l’extrême droite, notamment pour avoir déclaré que « s’il n’avait pas été ministre, il serait descendu dans la rue à Chemnitz », le ministre de l’intérieur a donc lui aussi tenu à lisser son discours : « Nous sommes libéraux et conservateurs. Nous avons toujours clairement mis une barrière entre nous et l’extrême droite. Nous n’avons aucune tolérance pour l’antisémitisme, la radicalité d’extrême droite, la haine des étrangers et la haine tout court », a-t-il insisté.
Parmi les militants et les sympathisants du parti présents à Munich, samedi, ce recentrage semble avoir été plutôt apprécié. « Si la CSU veut rester un “parti populaire” (Volkspartei), elle doit parler à tout le monde, et ne peut pas se contenter de parler à longueur de journée de l’immigration et de l’islam », commentait Ulrike, venue avec son mari de la région d’Ingolstadt, à une grosse heure de route de Munich. Un sentiment largement partagé par des militants lassés des passes d’armes incessantes entre M. Seehofer et la chancelière, Angela Merkel, qui ont marqué l’actualité des derniers mois.
C’est le cas d’Erich Winkler, adhérent de la CSU depuis 1982 et maire-adjoint de Nersingen, une ville de 10 000 habitants située au bord du Danube, non loin du Bade-Wurtemberg. « Il y a eu des expressions malheureuses. Les gens se sont parfois demandés où était la CSU. Avec les discours d’aujourd’hui, on a une ligne claire. J’espère que cela va nous aider », expliquait cet élu local, convaincu qu’une campagne fondée sur la « réconciliation » et non sur la « provocation » est le meilleur moyen de « parler aux électeurs encore indécis », près d’un sur deux selon les enquêtes d’opinion. Son pronostic ? « Dans les 40 % des voix. » Moins que la majorité absolue espérée il y a encore quelques mois et que la CSU n’a perdue qu’une fois en soixante ans au parlement régional (entre 2008 et 2013). Mais mieux que les 35 à 36 % des voix dont la créditent les derniers sondages.