A Fréjus, Marine Le Pen mise sur la fibre identitaire et fait applaudir Matteo Salvini
A Fréjus, Marine Le Pen mise sur la fibre identitaire et fait applaudir Matteo Salvini
Par Lucie Soullier (Envoyée spéciale à Fréjus (Var)
La dirigeante d’extrême droite a insisté dimanche sur les succès électoraux des « partis frères » européens comme la Ligue italienne et le FPÖ autrichien.
Marine Le Pen à Fréjus, dimanche 16 septembre. / Cyril Bitton / french-politics pour Le Monde
« Le moment est venu. » Marine Le Pen n’a pas déclaré sa candidature aux européennes, dimanche 16 septembre à Fréjus (Var), elle qui ne veut surtout pas endosser la tête de liste. Elle n’a pas non plus livré le nom du moindre candidat, ni même annoncé un quelconque ralliement. Pourtant, son discours de rentrée a sans conteste dévoilé la tonalité que la présidente du Rassemblement national (RN) compte donner à la campagne qu’elle va mener durant les huit prochains mois. Entre références aux « racines chrétiennes » et charges contre la « déferlante » migratoire, « la soumission à Bruxelles et à sa folle politique immigrationniste », Marine Le Pen a d’abord et avant tout retrouvé le timbre identitaire et anti-migratoire cher à l’ex-Front national. « La submersion de l’Europe et la submersion silencieuse de la France (...) Aucun village français même le plus reculé n’est plus à l’abri », a-t-elle tempêté devant une salle bleu-blanc-rouge entonnant les « On est chez nous » au rappel de ses fondamentaux.
Malgré la fermeture d’un tiers des permanences locales du parti, des finances plombées — notamment par la saisie à titre conservatoire de deux millions d’euros d’aides publiques par la justice française dans le cadre de l’enquête sur l’utilisation de l’argent de Bruxelles — et une nouvelle convocation devant les juges pour Marine Le Pen, celle-ci assure avec confiance que « le moment est venu » pour le parti d’extrême droite. Que « les événements [leur] donnent rendez-vous ». Que « la grande bataille des européennes peut tout changer ».
La « lame de fond » populiste européenne
A l’appui, elle ne se prive évidemment pas de citer le dernier sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info, qui place au coude à coude La République en marche (21,5 %) et le Rassemblement national (21 %). Mais c’est surtout ce qu’elle nomme la « lame de fond » du « grand basculement politique » qui vient servir sa démonstration, à savoir la poussée populiste et souverainiste qui s’empare de l’Europe. Brexit, Trump, Orban, Salvini... Elle égrène les exemples voisins de cette « vague nationale qui monte » et qui la pousse à afficher un double objectif électoral pour les européennes de mai : ravir la première place à Emmanuel Macron, et constituer une majorité eurosceptique avec ses « alliés » au Parlement européen. « Nous avons le sentiment de vivre un moment exceptionnel. Dans notre histoire de militants, dans l’histoire du mouvement, pour la première fois, tout peut basculer », acquiesce son conseiller spécial Philippe Olivier.
« Aujourd’hui, ce ne sont plus nous qui sommes isolés, poursuit la patronne du RN à la tribune, mais Madame Merkel qui perd du pouvoir chaque jour davantage, le titubant Juncker et le funambule Macron (...) Nous assistons partout au triomphe des peuples. » Qu’importe que le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, semble décidé à partir en solo ou que l’ancien ministre sarkozyste Thierry Mariani tarde à annoncer son ralliement. Ses appuis et « partis frères », clame Marine Le Pen, sont désormais européens.
Son atout star trône d’ailleurs dès l’entrée du théâtre de Fréjus, sur le tract finalement imprimé grâce à un nouvel appel au dons. Y apparaît le visage forcément souriant de Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur italien. Le même Matteo Salvini, visé dans son pays par une enquête pour séquestration de migrants, se voit cité en « exemple » de la politique migratoire à mener par tous les responsables du RN. « Il montre que nos solutions ne sont pas fantaisistes et que c’est possible », résume le porte-parole Julien Sanchez. Et voilà encore le même Matteo Salvini ovationné par la salle varoise. Ce n’est pourtant que son émissaire, le député de la Ligue italienne Flavio Di Muro, qui vient de faire son entrée en scène en apportant les « salutations » de son patron, et son ton : « Hier ils nous appelaient racistes et xénophobes (...) Organisons-nous et l’année prochaine tous ensemble, nous gagnerons. »
Succès moindre mais même tonalité « contre l’islamisation de notre continent européen » pour Maximilian Krauss du FPÖ autrichien, second invité européen. Deux « seconds couteaux », reconnaît un cadre du RN, mais qui suffisent à pointer que le parti d’extrême droite n’est plus si seul, insiste l’ancien responsable identitaire Philippe Vardon, aujourd’hui conseiller régional : « Aujourd’hui, c’est le camp Macron/Merkel qui est isolé et nous qui nous inscrivons dans ce grand mouvement européen. »
Quel profil pour la tête de liste ?
On en aurait finalement presque oublié Hervé Juvin, cité pourtant deux fois dans le discours de Marine Le Pen et dont le nom circulait ces dernières semaines pour emporter la tête de liste aux européennes. S’engagera-t-il ? « La question se pose », répond, allusif, l’essayiste apôtre de l’écologie civilisationnelle venu de la droite libérale, qui a déjà rédigé au moins un discours pour Marine Le Pen. Reste que ce « nom » demeure inconnu du grand public. « On préfère lui que BHL, maintenant si on a Finkielkraut ou Bruckner, on prend aussi », s’amuse Philippe Olivier, tendant par là une main à des philosophes qui, selon lui, « valident nos idées et devraient donc en tirer les conséquences ». Traduction : les rejoindre.
En interne, on préfèrerait désormais un profil plus « politique » qu’Hervé Juvin pour mener les troupes aux européennes. Marine Le Pen, elle, ne cache pas sa préférence pour une liste de rassemblement élargie... mais dont la tête serait étiquetée RN. Le député des Pyrénées-Orientales Louis Aliot serait ainsi revenu au centre des discussions. « Son compagnon... ça ne fait pas très rassemblement », murmure un cadre.
Peu importe, balaye le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques Jean-Yves Camus, qui observe davantage « les transferts de voix que les transferts de personnalités ». Pour le spécialiste de l’extrême droite, « incarner les attentes de l’opinion » permet de faucher davantage de voix à l’adversaire qu’un trophée de chasse. Or, si force est de constater que la présidente du parti d’extrême droite est affaiblie depuis le second tour de la présidentielle, Marine Le Pen ne souffre pour autant d’aucun réel rival dans son carré. Ni en interne, ni même du côté de celui qui a pourtant bien tenté de la concurrencer, le président du parti Les Républicains, Laurent Wauquiez.