Encore beaucoup d’huile de palme « sale » dans nos assiettes et nos produits de beauté
Encore beaucoup d’huile de palme « sale » dans nos assiettes et nos produits de beauté
Par Martine Valo
Un rapport de Greenpeace rappelle les multinationales à leurs responsabilités vis-à-vis des producteurs, qui continuent d’arracher la forêt pour les approvisionner.
Déboisement pour la plantation de palmiers à huile dans la concession PT Megakarya Jaya Raya, en Papouasie, le 1er avril. / ULET IFANSATI / GREENPEACE
L’huile de palme continue de nourrir la déforestation en Asie. Derrière ce constat tout simple pointe l’agonie de la forêt tropicale en Indonésie, pays qui fournit 55 % de la production mondiale, 85 % si l’on rajoute la Malaisie. Les images émouvantes d’un orang-outan frappant d’un geste désespéré le godet d’une pelleteuse mécanique au milieu d’un tapis d’arbres arrachés ont fait le tour du web cet été. Prises par International Animal Rescue Indonesia, elles ne reflètent pas, à elles seules, l’étendue des dégâts qu’entretient une demande mondiale grandissante pour cet oléagineux pas cher et fort commode à travailler.
Non seulement cette malédiction économique dévaste la faune sauvage et la flore luxuriante, mais elle affecte aussi des communautés autochtones et suscite de sérieuses entorses aux droits des travailleurs. Tandis que les immenses feux destinés à dégager le terrain pour l’extension de nouvelles plantations, toujours plus loin dans l’ex-forêt, rendent l’air irrespirable jusque chez les pays voisins, dont les populations tombent malades.
Le bilan est très sombre, selon Greenpeace International, qui rend public, mercredi 19 septembre, une enquête intitulée Le compte à rebours final. L’ONG ne s’appesantit pas sur les symptômes déjà connus de la fièvre de l’huile de palme. Mais elle analyse les pratiques des producteurs qui se prétendent « responsables » afin de pouvoir avoir pour clientes les grandes multinationales. Jusqu’à quel point des marques de réputation mondiale de l’agroalimentaire et de cosmétiques cherchent-elles à connaître les pratiques de ceux qui approvisionnent leurs chaînes de production ?
Autorités locales soudoyées
Colgate-Palmolive, General Mills, Hershey, Kellogg’s, Kraft Heinz, L’Oréal, Mars, Mondelez, Nestlé, PepsiCo, Reckitt Benckiser et Unilever : ces douze grands noms, parmi ceux de vingt groupes passés au crible, se fournissent auprès d’au moins 20 de 25 sociétés qui contribuent à la dévastation des paysages de l’archipel. Ces dernières sont, selon Greenpeace, à l’origine de la destruction de plus 130 000 hectares de forêts depuis fin 2015. Pire encore, 40 % des zones rasées (51 600 ha) se trouvent en Papouasie indonésienne, une des régions du monde les plus riches en biodiversité et qui était jusqu’à récemment préservée de la main mise de l’industrie. La déforestation y sévit à un rythme alarmant. Et encore, le secteur des agrocarburants, en pleine expansion, n’est pas pris en compte dans ce décompte final.
Plantation de palmiers à huile dans la région de Merauke au sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en décembre 2017. / ULET IFANSATI / GREENPEACE
Sur la sellette, le secteur s’est doté d’une certification « huile de palme durable » (RSPO), décernée par une table ronde dont les membres se sont réunis à Paris, le 26 juin. Ce jour-là, une poignée de membres de communautés affectées par cette industrie ont eu droit à quelques minutes pour y présenter leurs doléances. Franky Samperante, 48 ans, était venu de la région indonésienne de Sulawesi témoigner au nom de l’organisation des peuples indigènes Pusaka.
« Des compagnies ouvrent la forêt et nous repoussent hors des terres sur lesquelles nous vivions depuis des générations, confiait-il. Nous avons écrit au gouvernement et aux parlementaires… mais chez nous, des gens sont arrêtés tous les jours. »
Le rapport de Greenpeace présente en détail une quarantaine de plantations dans plusieurs districts de la province de Papouasie, de Bornéo, de l’île Bawal… L’ONG a fait travailler durant plusieurs mois ses équipes de cartographes à partir d’images satellites, a analysé les banques de données disponibles (notamment celles du ministère indonésien de l’environnement et de la forêt) et envoyé ses militants sur le terrain effectuer des repérages.
Elle présente par exemple les plantations du groupe familial Hardaya Plantation Group. Sa présidente fondatrice, Siti Hartati Murdaya, a été condamnée en 2013 à trente-deux mois de prison et une amende de 15 000 dollars américains pour avoir soudoyé les autorités de Sulawesi afin d’obtenir des concessions dans le centre de l’île. Une ONG locale, Aidenvironment, a identifié environ 145 000 hectares de concessions au total, malgré l’absence de données publiques.
Au vu d’images satellite américaines et des cartes du gouvernement, il semble qu’Hardaya ait défriché pour ses plantations 434 ha entre le 26 décembre 2014 et le 8 mars 2018, dont des parcelles taillées dans des forêts primaires. Le groupe n’a pas répondu aux questions de Greenpeace. L’agro-industriel Mars, en revanche, lui a fait savoir qu’il entendait exclure Hardaya de ses chaînes d’approvisionnement.
Pression des ONG
« On aimerait bien que les entreprises cessent d’attendre qu’on vienne les voir pour leur mettre sur la table les agissements de leurs fournisseurs, soupire Cécile Leuba, chargée de campagne forêts à Greenpeace France. Il faut qu’elles mettent d’elles-mêmes en place des plans pour documenter leurs approvisionnements. »
Pour l’heure, la politique « Zéro déforestation » à laquelle les multinationales et l’ensemble de la filière se sont progressivement engagés depuis 2010 sous la pression des ONG, n’est pas respectée dans les faits. Or plusieurs grandes marques n’ont pas hésité à nous assurer, à nous consommateurs, que d’ici 2020, nos achats ne se feraient plus au détriment de nouvelles parcelles défrichées. On en est loin.
Déboisement pour préparer la plantation de palmiers à huile dans le village de Selauw (Papouasie-Nouvelle-Guinée), en décembre 2017. / ULET IFANSATI / GREENPEACE
Greenpeace a particulièrement en ligne de mire Wilmar International – le plus gros négociant d’huile de palme au monde. Ce trader basé à Singapour, qui représente 43 % du marché, est certifié RSPO depuis 2005. Il avait suscité beaucoup d’espoir en 2013 en s’engageant à cesser « toute déforestation, toute destruction de tourbière, toute exploitation humaine », et en respectant notamment le droit des communautés locales. Las, Wilmar est le principal client de 18 des producteurs mis en cause dans ce rapport.
Parmi les ONG, The Forest Trust (TFT) est un peu particulière. Peu connue du grand public, elle travaille avec des compagnies qui affichent leur volonté de modifier leurs pratiques vis-à-vis de la forêt, mais aussi en matière sociale. C’est ainsi qu’elle est partenaire de Wilmar depuis cinq ans. Mardi, à la veille de la sortie de l’enquête de Greenpeace, elle a fait part de son désappointement à l’égard du trader, dont les efforts se sont nettement ralentis après la première année de leur collaboration.
Ce dernier avait par exemple décidé de rendre publique la liste complète de ses usines à huile en Malaisie. Dans un communiqué, TFT annonce que Wilmar devrait en fait présenter, d’ici le 30 septembre 2018, un « nouveau plan d’action pour combler les lacunes dans la mise en œuvre de la politique » vertueuse qu’il avait annoncée, assorti d’un échéancier précis.