« Le Poulain » : l’envers du décor politique
« Le Poulain » : l’envers du décor politique
Par Thomas Sotinel
Le dessinateur Mathieu Sapin, qui avait suivi l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, croque les coulisses du pouvoir.
Dessinateur reporter, Mathieu Sapin connaît la politique telle qu’elle se pratique en France : il a couvert l’arrivée de François Hollande à l’Elysée en 2012 dans Campagne présidentielle, a observé assez longtemps le mandat de ce dernier pour en tirer un second volume, également édité chez Dargaud, Le Château. Passant des cases de la bande dessinée aux plans de cinéma, Mathieu Sapin a fait de cette expérience la matière de son premier long-métrage.
L’intérêt du Poulain réside dans le processus de distillation de la réalité, de ce qu’il révèle du regard de son auteur sur ce milieu qu’il a observé longtemps et de près. En suivant, le temps d’une campagne présidentielle, l’ascension d’un néophyte en politique de l’antichambre d’un troisième couteau jusqu’aux salons de l’Elysée, le réalisateur s’est débarrassé de ce qui l’encombrait – les thèmes de campagne (immigration, Europe…), les débats d’idées, les propositions politiques. Celles-ci sont déguisées de sigles absurdes qui ne prennent jamais de substance. L’intérêt de l’auteur est ailleurs, dans la mise en mouvement d’un vaudeville alimenté par l’appétit de pouvoir et les pulsions érotiques des personnages.
C’est un parti périlleux qui suppose une maîtrise de la mécanique comique dont Mathieu Sapin ne fait pas toujours montre. D’autant qu’il manque au Poulain les fondations réalistes qui ont permis à Quai d’Orsay (inspiré d’un ministre des affaires étrangères ayant réellement existé), de Bertrand Tavernier, ou à la série Baron noir (évoquant sans détour le Parti socialiste) d’emporter la conviction.
C’est à des « démocrates » de fiction qu’Arnaud Jaurès (homonymie ou parenté, l’ambiguïté est savamment entretenue) apporte son concours. Passant des mains moites d’un petit apparatchik libidineux (Philippe Katerine, qui perpétue la tradition des seconds rôles spectaculaires du cinéma français, de Jules Berry à Dominique Zardi) aux griffes manucurées d’Agnès Karadzic (Alexandra Lamy), la directrice de communication d’une candidate à la primaire, Arnaud (Finnegan Oldfield) se voit enseigner le b.a.-ba du mensonge institutionnel, de la communication à sens unique, pour passer très vite au niveau supérieur : trahisons et compromis.
Apprentissage de la bassesse
Tant que son personnage en reste aux stades initiatiques, Finnegan Oldfield sait jouer de son charme un peu opaque, laissant planer le doute sur l’engagement et les désirs d’Arnaud. Cet apprentissage de la bassesse provoque un peu de déprime que ne dissipe pas tout à fait le cynisme enjoué qu’Alexandra Lamy confère à sa professionnelle des retournements de veste.
Dans le rôle d’un candidat célibataire obsédé par le regard maternel (porté par Brigitte Roüan), Gilles Cohen fait une création plus inattendue qui pourrait faire pencher le film du côté de la fantaisie. Mais, de toute évidence, Mathieu Sapin veut faire croire à la justesse de cette peinture, comme en témoigne la présence, dans un second rôle, de Gaspard Gantzer, qui fut conseiller à la communication de François Hollande de 2014 à 2017. Cette intrusion d’un petit morceau de réalité politique parachève la sensation de désenchantement absolu qui flotte sur Le Poulain.
LE POULAIN - Bande annonce officielle - Au cinéma le 19 septembre
Durée : 01:28
Film français de Mathieu Sapin. Avec Alexandra Lamy, Finnegan Oldfield, Gilles Cohen (1 h 37). Sur le Web : www.bacfilms.com/distribution/fr/films/we-need-your-vote