« Leave No Trace » : le père, la fille et l’esprit des bois
« Leave No Trace » : le père, la fille et l’esprit des bois
Par Thomas Sotinel
La réalisatrice américaine Debra Granik filme avec délicatesse le passage d’une enfant à l’âge de femme.
Comme les frères Grimm, Debra Granik aime raconter des histoires de jeunes filles perdues au fond des bois. Ce n’est pas toujours la même histoire. Tom, l’héroïne de Leave No Trace, deuxième long-métrage de fiction de la réalisatrice, est aussi différente de Ree, la jeune chasseuse de Winter’s Bone, que le Petit Chaperon rouge l’est de la Belle au bois dormant. La tension, la terreur, le grotesque de Winter’s Bone, conte sudiste gothique, cèdent la place à un rythme apaisé, élégiaque. Leave No Trace est une balade qui célèbre et déplore la fin de l’enfance, un duo pour fille adolescente et père meurtri qui fait son œuvre si patiemment, si délicatement, qu’on n’en découvrira les effets durables que longtemps après la projection.
Will (Ben Foster) et Tom (Thomasin Harcourt McKenzie) vivent au fond des bois d’un parc national voisin de Portland (Oregon), pas très loin de la forêt où habitait la tribu de Captain Fantastic que dirigeait Viggo Mortensen. Will, lui, n’a rien d’un patriarche ; il n’a pas fui le monde par goût de l’utopie. Ancien combattant d’une de ces guerres sans fin que livre son pays contre le reste du monde, Will est tout simplement incapable de supporter le commerce de ses semblables – à une exception, sa fille. De leur épouse et mère, il ne reste que des souvenirs, évoqués laconiquement. Rien d’autre n’existe que leur côte-à-côte.
La première partie du film est brève : Debra Granik y met en scène l’existence de cette famille des bois. Tom a profité des talents acquis par son père sous les drapeaux. Il sait s’abriter, se nourrir, se cacher. Elle s’applique à mettre en pratique ces leçons, tente de tordre le règlement en faveur de ses envies d’enfant, un peu de sucré, un peu de chaleur. Elle le fait avec une sagesse que connaissent peu d’adultes. On voit bien qu’elle ne poussera jamais un de ces gentils caprices au point de menacer le fragile équilibre auquel est parvenu son père.
Souci documentaire et empathie
De temps à autre, ils vont à la ville, toucher la pension d’ancien combattant de Will, retirer les médicaments psychotropes qu’on lui a prescrits, qu’il revend. Mais cette idylle verte est brutalement interrompue par les rangers du parc, auxquels succèdent bientôt les services sociaux. L’interpellation de Will et Tom finit d’installer le film sur sa trajectoire très particulière. Le père et la fille ont beau avoir traversé d’épouvantables malheurs – la guerre, la mort de la mère –, leur histoire ne sera pas une tragédie. Les rangers procèdent avec courtoisie, les travailleurs sociaux sont pleins de considération pour l’enfant et le vétéran. Debra Granik les observe avec un souci presque documentaire, plein d’empathie, qui réapparaîtra au chapitre suivant : les robinsons de la forêt sont placés dans une plantation de sapins de Noël près de laquelle vit un sympathique adolescent dont le hobby est de présenter son lapin familier dans des concours de beauté.
Passé le plaisir de découvrir ces recoins du paysage américain, Debra Granik assène délicatement le coup : Will a beau travailler au bonheur des enfants, presque comme un lutin du Père Noël, Tom a beau s’être attachée au plus rassurant des teenagers, il reste entre ce monde et leur famille un fossé que le patriarche se refuse une nouvelle fois à combler alors que sa fille voudrait le franchir une fois pour toutes. Leave No Trace sera moins l’histoire d’une cavale que celle du passage d’une enfant à l’âge de femme.
La jeune actrice néo-zélandaise (ça ne s’entend pas) Thomasin Harcourt McKenzie et Ben Foster trouvent une justesse harmonique jusque dans la tranquille discorde qui s’installe entre leurs personnages. La première délimite très nettement la singularité de son personnage, infiniment plus innocente que les autres adolescentes, mais aussi tellement plus sage. Quant à l’acteur qui avait déjà impressionné dans Comancheria, il porte avec une gravité un peu solennelle le poids de la maladie de l’ancien combattant.
Dans l’errance que le père a imposée, Tom et Will ne font jamais l’expérience du mal ou de la méchanceté. Leur malheur procède de ce qui est survenu il y a longtemps, de la douleur que fait naître la séparation à venir. Dans cet entre-deux, Debra Granik filme avec autant de délicatesse les moments qui s’égrènent, jusqu’à ce que la perspective de l’adieu devienne aussi douloureuse au spectateur qu’aux personnages.
LEAVE NO TRACE - de Debra Granik - Teaser VOST
Durée : 01:01
Film américain de Debra Granik. Avec Thomasin Harcourt McKenzie, Ben Foster (1 h 49). Sur le Web : www.condor-films.fr/film/leave-no-trace
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 19 septembre)
- Leave No Trace, film américain de Debra Granik (à ne pas manquer)
- L’amour est une fête, film français de Cédric Anger (à voir)
- Les Frères Sisters, film américain et français de Jacques Audiard (à voir)
- Avant l’aurore, film français de Nathan Nicholovitch (pourquoi pas)
- Climax, film français de Gaspar Noé (pourquoi pas)
- Fortuna, film belge et suisse de Germinal Roaux (pourquoi pas)
- Le Poulain, film français de Mathieu Sapin (pourquoi pas)
- Vaurien, film français de Mehdi Senoussi (pourquoi pas)
- Volubilis, film marocain de Faouzi Bensaïdi (pourquoi pas)
- La Nonne, film américain de Corin Hardy (on peut éviter)
A l’affiche également :
- Carnage chez les Puppets, film américain de Brian Henson
- Jour de paye ! Vers un revenu universel, documentaire autrichien et allemand de Christian Tod
- Plongeons !, programme de six courts-métrages de Clément Cogitore, Loïc Barché, Tomer, Gabriel Harel, Andrew Ellmaker, Maximilien Van Aertryck et Axel Danielson
- Victimes, film français de Robin Entreinger