Lutte contre la haine sur Internet : un rapport pour « passer à une nouvelle étape » remis à Matignon
Lutte contre la haine sur Internet : un rapport pour « passer à une nouvelle étape » remis à Matignon
Par Martin Untersinger
Le texte remis à Edouard Philippe jeudi préconise diverses solutions, qui doivent notamment faire évoluer des notions importantes du droit de l’Internet. Une tâche ardue car elle nécessite de convaincre les autres pays de l’Union européenne.
Le gouvernement doit « passer à une nouvelle étape » dans la lutte contre le racisme et la haine sur Internet. C’est ce que défend un rapport comportant vingt propositions, remis jeudi 20 septembre au premier ministre.
Ce document — rédigé par la députée (LRM) de Paris Laetitia Avia, le vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Gil Taïeb, et l’écrivain Karim Amellal — avait été commandé par Matignon dans le cadre de son deuxième plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Les auteurs du rapport estiment que la question a souffert jusqu’à présent d’« une certaine indifférence des pouvoirs publics », ce qui a permis la multiplication des discours de haine et un sentiment de « recul de l’Etat de droit sur Internet ».
Revenir sur un pilier du droit de l’Internet
Pour tenter d’y remédier, ils préconisent de s’attaquer à un pilier du droit de l’Internet afin d’accentuer les obligations des réseaux sociaux, à l’unisson d’un refrain entendu dans plusieurs capitales européennes et à Bruxelles ces derniers mois.
Depuis le début des années 2000, les entreprises sur Internet sont classées en deux catégories :
- celles qui publient directement des contenus en ligne (les éditeurs) ;
- celles qui servent de support pour que les internautes puissent publier leurs contenus (les hébergeurs).
Jusqu’ici et dans les grandes lignes, les hébergeurs (comme les réseaux sociaux) n’étaient pas responsables des contenus illégaux postés sur leurs services. Sauf si ces derniers leur étaient signalés, auquel cas ils devaient promptement les supprimer. Problème, selon les auteurs du rapport, ce dispositif « satisfaisant dans le principe » n’est pas « véritablement opérationnel ».
Le rapport veut donc créer un troisième statut intermédiaire aux obligations renforcées, celui « d’accélérateurs de contenus », qui concernera essentiellement les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. « Ce tiers statut nous permet de ne toucher que les plates-formes qui ont cette capacité d’amplification, qui peuvent créer de la viralité », explique Laetitia Avia. Selon nos informations, c’est la piste que devrait retenir le gouvernement.
Ce n’est plus un tabou depuis des mois, tant à Paris qu’à Bruxelles, alors que les grandes plates-formes numériques sont dans le viseur des autorités dans plusieurs dossiers liés à la réglementation des contenus, des messages haineux à la propagande djihadiste en passant par les droits d’auteur.
Problème : revenir sur ce cadre, d’origine européenne, ne sera pas une mince affaire. Paris espère obtenir le soutien de l’Allemagne pour faire avancer ce dossier et infuser la position française dans les instances européennes, sans pour autant exclure, de source gouvernementale, la présentation d’un texte national d’ici au début de l’année prochaine. Certaines autres recommandations pourraient quant à elles être insérées dans le projet de loi de réforme pour la justice.
Retrait des contenus racistes sous vingt-quatre heures
Le rapport propose d’emboîter les pas de l’Allemagne et d’obliger certaines entreprises du numérique, idéalement les « accélérateurs de contenus », à retirer les contenus « manifestement » illégaux dans un délai de vingt-quatre heures après qu’ils leur ont été signalés. Ce délai serait porté à une heure pour les contenus à caractère terroriste. Les auteurs proposent une amende pesant sur les contrevenants, qui pourrait s’élever à 37,5 millions d’euros, soit 100 fois ce que prévoit actuellement la loi.
La loi allemande « NetzDG », qui prévoit donc un dispositif similaire, présente un bilan « plutôt encourageant », selon le rapport. Cette initiative allemande, qui a fait polémique à ses débuts, était observée de près à Paris depuis plusieurs mois et souvent présentée comme un exemple à suivre.
Blocage des sites
Le rapport suggère aussi de permettre au juge d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet d’empêcher leurs clients d’accéder à un site Internet dans certains cas les plus graves (menace de mort, incitation à la violence, harcèlement…). Ce mécanisme existe déjà en droit français, mais les magistrats restent frileux à l’idée de l’appliquer. Anticipant une éventuelle évolution juridique, les autorités ont dans leur viseur, selon nos informations, un site raciste particulièrement odieux et vont prochainement tenter d’obtenir un précédent devant la justice.
Le mécanisme envisagé par le rapport serait justement destiné à atteindre les sites les plus violents qui ont tout fait pour se mettre hors de portée des autorités françaises, notamment en choisissant d’être hébergé dans des pays peu coopératifs. Le rapport évoque également la possibilité de donner au juge le pouvoir de retirer un contenu des moteurs de recherche.
Une justice plus rapide
Le document remis au premier ministre formule des préconisations pour mieux réprimer les propos racistes et antisémites. Par exemple de recourir aux ordonnances pénales, afin de rendre les condamnations plus rapides. Outre des amendes plus fortes, les trois auteurs suggèrent aussi une plus grande variété des peines, comme des stages de sensibilisation à la haine en ligne ou des travaux d’intérêt général.
Les rédacteurs veulent aussi améliorer la formation des différents maillons de la chaîne judiciaire, des policiers et gendarmes aux magistrats, ainsi que la création de chambres pénales spécialisées dans les délits, spécifiques et complexes, liés à la liberté d’expression. Ils souhaitent ouvrir la possibilité de faire de délits haineux l’objet d’une plainte en ligne. Pour cela, notent les auteurs du rapport, le budget alloué au parquet et plus généralement à la justice devra être augmenté.
Le rapport propose aussi de standardiser les mécanismes qui permettent aux internautes de signaler la présence de contenus racistes. Là aussi, il s’agit d’un point déjà existant en droit français, mais qui ne donne pas satisfaction aux auteurs du rapport, qui aimeraient aussi que soit instauré un logo, commun à tous les réseaux sociaux, pour rendre ce système d’alerte « clairement identifiable ».
La députée et ses deux coauteurs suggèrent aussi la création d’une autorité de réglementation dédiée au racisme et à la haine sur Internet, qui serait chargée de prononcer les sanctions pécuniaires, de réclamer au juge le blocage de certains sites ou de contrôler le dispositif de signalement.
Les auteurs du rapport veulent aussi inciter les annonceurs à plus de transparence sur les sites où leurs publicités sont affichées, dans l’espoir d’assécher le financement de certaines publications les plus problématiques. Les efforts de formation, de sensibilisation et d’éducation de la société aux problématiques du racisme et de l’antisémitisme sur Internet doivent aussi être renforcés, écrivent les auteurs du rapport.