LES CHOIX DE LA MATINALE

Une sélection très éclectique cette semaine, avec un loseur capitaliste chez Emmaüs, une idylle entre deux jeunes femmes au Kenya sur fond de censure, la lutte de Cédric Herrou en faveur des migrants dans l’arrière-pays niçois et les fracas de la Révolution française.

« Un peuple et son roi » : redonner sens à la Révolution

UN PEUPLE ET SON ROI Bande Annonce (2018) Laurent Lafitte, Louis Garrel, Adèle Haenel
Durée : 02:24

L’ambition de Pierre Schoeller – sans doute la plus haute et la plus folle qu’ait connue le cinéma français ces dernières années – est de redonner vie et sens à la Révolution, de mettre en scène la mort d’un monde et la naissance d’un autre, ce qui est advenu en France entre le 9 avril 1789, jeudi saint, un mois avant la réunion des Etats généraux, et le 21 janvier 1793, date de l’exécution de Louis XVI – du jour où le roi lava pour la dernière fois les pieds des enfants pauvres de Paris (c’est la première séquence du film) à celui de sa décapitation.

En deux heures (c’est bien peu), le réalisateur de L’Exercice de l’Etat (2011) concentre les images, les discours, les figures et les conflits avec une acuité intellectuelle et une énergie qui emportent tout, même la gaucherie de certains tours du récit.

Allant et venant des galetas du faubourg Saint-Antoine à Versailles, des Tuileries ensanglantées à la salle du Manège de l’Assemblée nationale, Un peuple et son roi précipite les éléments de la France de 1789 dans le creuset de la révolution et analyse l’alliage nouveau qui en sort. Autant qu’un spectacle guidé par un souci de fidélité aux sources, le film de Schoeller est un essai voué à réveiller la réflexion sur l’idée de révolution, sur son actualité. Thomas Sotinel

« Un peuple et son roi », film français de Pierre Schoeller. Avec Adèle Haenel, Olivier Gourmet, Noémie Lvovsky, Gaspard Ulliel, Céline Sallette, Louis Garrel, Laurent Lafitte (2 h 01).

« I Feel Good » : du capitalisme comme pur délire mental

I FEEL GOOD Bande Annonce Complète (2018) Jean Dujardin, Yolande Moreau
Durée : 04:09

Rebut, rébus, ubu : tels sont les maîtres mots d’I Feel Good, film puzzle tourné dans le temple du recyclage, chez Emmaüs, avec la folie douce qui caractérise les réalisateurs Benoît Delépine et Gustave Kervern. Film après film, le tandem chronique la fragilité sociale d’individus dont les vies sont malmenées par le capitalisme.

Dans I Feel Good, leur huitième long-métrage, le stade ultime de la désintégration approche : ne cherchez plus les salariés ou l’entreprise, il n’y en a plus. Monique (Yolande Moreau) dirige un Centre Emmaüs, où fait irruption Jacques (Jean Dujardin), frère de Monique, un loseur sans gêne qui débarque un beau matin et va dérégler la vie des compagnons.

Aux antipodes de sa sœur, qui a gardé la foi communiste de ses parents, et de cette communauté qui œuvre à la décroissance, Jacques le bellâtre assume son obsession : devenir riche, très riche. Il propose pour ce faire aux compagnons des chirugies esthétiques low cost en Roumanie… Clarisse Fabre

« I Feel Good », film français de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Avec Jean Dujardin, Yolande Moreau, Jo Dahan (1 h 43).

« Rafiki » : des affinités particulières entre filles au Kenya

RAFIKI Bande Annonce (2018) Film Adolescent
Durée : 01:51

L’interdiction totale de Rafiki par la commission de censure kényane est un prix, dans les deux sens du terme. Le tarif insupportable imposé par les institutions (qui ont finalement autorisé une diffusion locale pendant une semaine afin de permettre au film de concourir aux Oscars) à la cinéaste Wanuri Kahiu pour avoir osé mettre en scène une idylle adolescente entre deux jeunes femmes.

Une distinction aussi qui montre que Rafiki n’est pas seulement – comme certains l’écrivaient au moment de la présentation du film à Cannes dans la section Un certain regard – un produit destiné au circuit des festivals, mais aussi une œuvre insupportable pour les tenants de l’ordre établi, qui, si elle était vue par celles et ceux à qui elle est destinée, pourrait infléchir le débat.

La violence pesante de la réaction était prévisible. Elle est aussi incongrue. Rafiki (qui n’est qu’incidemment le nom du mandrill dans Le Roi Lion mais veut avant tout dire « ami/e » en swahili), n’a rien de pesant. Sa vivacité, sa légèreté opèrent comme un antidote à l’intolérance dont sont victimes ses personnages. T. S.

« Rafiki », film kényan et français de Wanuri Kahiu. Avec Samantha Mugatsia, Sheila Muniyiva, Jimmy Gathu (1 h 27).

« Libre » : « embedded » chez les citoyens du monde

LIBRE Bande Annonce (Cannes 2018) Film Français
Durée : 01:56

Applaudi au Festival de Cannes le 17 mai alors qu’il montait les marches en compagnie de migrants, enfariné par des militants d’extrême droite le 17 septembre au cinéma Le Navire à Valence au cours d’une avant-première du film. Ainsi va le destin contrasté de l’agriculteur Cédric Herrou, dont l’action est au cœur de Libre, un documentaire signé Michel Toesca.

Ce dernier a filmé deux années durant cette lutte quotidienne menée dans l’arrière-pays niçois, altruiste et triviale à la fois, paradoxale aussi, pour cette raison que ses acteurs enfreignent parfois la loi pour mieux rappeler que l’Etat l’enfreint le premier en refoulant les candidats à l’asile qui se présentent sur son territoire et, pire encore, en faisant de la solidarité à leur endroit un délit.

La simplicité du film fait donc sa force. On en connaît l’alphabet. Disponibilité et connivence avec le milieu filmé. Absence d’équipe. Débrouille. Tournage à l’épaule avec une caméra périmée. En cela aussi, le film est en cohérence avec l’objet filmé. Les gens qu’il nous montre ne sont pas animés par un projet politique d’envergure. Ils tiennent, comme saint Augustin, qu’une loi injuste n’est pas une loi. Jacques Mandelbaum

« Libre », documentaire français de Michel Toesca (1 h 40).