Journaliste bulgare assassinée : le motif du meurtre reste mystérieux
Journaliste bulgare assassinée : le motif du meurtre reste mystérieux
Par Jean-Baptiste Chastand
Viktoria Marina était la directrice d’une télévision régionale qui venait de lancer un magazine d’investigation.
Une femme dépose une rose devant le portrait de la journaliste assassinée Viktoria Marina, devant le monument de la liberté, à Ruse, en Bulgarie le 8 octobre. / Vadim Ghirda / AP
Des dizaines de Bulgares se sont réunis lundi 8 octobre au soir, au centre de Sofia, pour rendre hommage à Viktoria Marinova. Cette journaliste, âgée de 30 ans, a été brutalement assassinée samedi 6 octobre à Roussé, ville de 150 000 habitants située au nord du pays, près de la frontière avec la Roumanie. Dans un pays classé dernier de l’Union européenne pour sa liberté de la presse par Reporters sans frontières, cet assassinat a causé un choc, même si rien n’indique pour l’instant que Mme Marinova ait été tuée en raison de ses activités professionnelles.
Mère d’un enfant de 7 ans, cette journaliste dirigeait une petite chaîne de télévision régionale, TVN, qui appartient à son ex-mari, actif dans les télécoms. Son corps a été retrouvé dans un parc situé près d’une promenade longeant le Danube, alors qu’elle était partie faire un jogging. Selon les autorités bulgares, elle a été violée et dépouillée de ses effets personnels et d’une partie de ses vêtements. Les enquêteurs ont d’abord expliqué à plusieurs médias qu’ils ne privilégiaient pas le motif professionnel, avant d’affirmer dimanche soir qu’aucune piste n’était exclue.
TVN avait longuement donné la parole le week-end précédent à deux journalistes ayant publié des révélations fracassantes mi-septembre sur des détournements massifs de fonds européens par une des plus grosses entreprises bulgare du bâtiment, GP. « Elle avait lancé un magazine d’investigation, “Detector”, et lors de sa première – et dernière – émission, elle a invité notre journaliste pour parler de cette affaire », raconte Atanas Tchobanov, rédacteur en chef de Bivol, le site d’investigation à l’origine de ce scandale. « Aucune télévision ne nous invite d’habitude et elle avait même évoqué ensuite un projet d’émission pour parler de nos investigations de manière régulière », assure ce journaliste d’investigation qui dit avoir reçu des menaces récemment.
Manque de confiance dans les autorités bulgares
La Bulgarie est l’un des pays les plus corrompus d’Europe. « Et Roussé est connue pour être un hub du blanchiment d’argent. Or, son équipe et elle-même travaillaient sur beaucoup de sujets impliquant le crime organisé », témoigne également Attila Biro, journaliste d’investigation roumain associé à Bivol et qui avait été co-interviewé par TVN.
Dans cette émission, Attila Biro et son confrère bulgare avaient notamment évoqué les conditions troubles dans lesquelles ils avaient été brièvement arrêtés le 13 septembre par la police alors qu’ils s’étaient rendus sur un site près de Sofia où des sacs d’archives de GP étaient en train d’être détruits quelques jours après leurs révélations.
Les deux hommes n’excluent toutefois pas que Viktoria Marinova ait pu être tuée par un déséquilibré ou dans le cadre d’une affaire privée. « Les meilleurs enquêteurs ont été envoyés à Roussé et une grande quantité d’ADN a été retrouvé », a affirmé le premier ministre bulgare, Boïko Borissov, en assurant que l’élucidation du crime n’était « qu’une question de temps ». « On n’a pas confiance dans les autorités bulgares », conteste toutefois M. Tchobanov, qui préférerait une « investigation européenne qui n’exclut aucune hypothèse ».
Viktoria Marinova est la troisième journaliste à être assassinée en moins d’un an dans un pays de l’UE. Si, pour l’instant, le mode opératoire de ce meurtre est bien différent de celui de la Maltaise Daphne Caruana Galizia (tuée dans l’explosion de sa voiture) et du Slovaque Jan Kuciak (exécuté avec sa compagne), il met de nouveau l’accent sur les failles des autorités nationales à identifier les auteurs des assassinats de journalistes qui se multiplient actuellement en Europe. Et surtout à éviter qu’ils n’agissent.