Milorad Dodik, lors d’une conférence de presse, le 7 octobre à Banja Luka. / RANKO CUKOVIC / REUTERS

La Bosnie-Herzégovine va être coprésidée par un homme qui ne cesse de contester son existence. Dimanche 7 octobre, l’ultranationaliste serbe Milorad Dodik a remporté l’élection présidentielle avec 53,8 % des voix au sein de sa communauté, selon des résultats calculés sur un peu plus de 90 % des bureaux électoraux de ce pays des Balkans. Il l’emporte face au président serbe sortant Mladen Ivanic, réputé plus modéré. Conformément aux accords de Dayton, qui ont mis fin à la guerre en 1995 au prix de l’installation d’un système politique complexe, censé respecter les équilibres ethniques et largement corrompu, ce provocateur de 59 ans va faire partie pendant quatre ans de la présidence tournante et tripartite, au côté d’un Bosniaque et d’un Croate.

Deux modérés – Sefik Dzaferovic et Zeljko Komsic – ont été élus par ces deux communautés, ce qui devrait permettre de limiter la marge de manœuvre de M. Dodik, qui menace depuis des années de faire exploser le pays en faisant sécession. Avant sa victoire, il présidait depuis 2010 la Republika Srpska, l’entité serbe qui constitue la Bosnie-Herzégovine, au côté de la Fédération bosno-croate. Les deux entités fédérées ont de larges prérogatives comme la police ou l’éducation, tandis que l’Etat fédéral s’occupe surtout de politique étrangère et de défense.

Se battre « pour un pays décentralisé »

Comme il était arrivé au bout de la limite de mandats successifs autorisés pour la présidence de la Republika Srpska, se présenter à l’échelon fédéral était la seule manière pour lui de rester au pouvoir, tout en plaçant des proches à Banja Luka, la « capitale » des Serbes de Bosnie. Quitte à désormais modérer – un peu – ses propos en assurant avant l’élection qu’il ne comptait plus faire sécession, mais uniquement se battre « pour un pays décentralisé avec un rôle important de la Republika Srpska ».

Pour montrer qu’il n’avait cependant rien renié de ses convictions, il a annoncé dès lundi 8 octobre qu’une de ses premières actions serait de demander que le drapeau de la Republika Srpska « apparaisse partout » où il se déplace. Il a aussi confirmé qu’il n’assisterait aux réunions avec ses collègues croate et bosniaque que par visioconférence, afin d’éviter de se rendre à Sarajevo, capitale de la Bosnie majoritairement habitée par les Bosniaques de culture musulmane, et honnie à ce titre par les nationalistes serbes, religieusement orthodoxes.

Alors qu’il était montré en exemple par les puissances occidentales pour sa modération à la fin des années 1990, ce stratège connu pour ses discours vulgaires a montré qu’il était prêt à tout pour garder le pouvoir. En 2006, il avait ainsi opéré un brutal virage nationaliste pour gagner les élections.

Depuis Banja Luka, il a ensuite multiplié les provocations en revenant, par exemple, sur la reconnaissance du génocide de Srebrenica ou en organisant un référendum pour changer le jour de la fête de l’entité malgré un avis défavorable de la Cour constitutionnelle de Sarajevo. Soutenu par Vladimir Poutine et une partie de l’extrême droite européenne, il est sur les listes de sanctions américaines depuis janvier 2017 pour son obstruction aux accords de Dayton.

L’opposition, grande perdante

Dans le cadre des autres scrutins organisés en même temps que cette présidentielle, M. Dodik a aussi réussi à faire élire sa fidèle dauphine, Zeljka Cvijanovic, pour lui succéder à la présidence de l’entité serbe et à obtenir près de 40 % des voix aux législatives. L’opposition est la grande perdante de ces élections générales.

Chez les Bosniaques, majoritaires dans le pays, le Parti d’action démocratique du héros de l’indépendance Alija Izetbegovic et son fils et président sortant, Bakir Izetbegovic, n’emporte que 25,8 % des voix. Sefik Dzaferovic n’est élu à la présidence qu’avec une faible avance. Le parti souffre de ses dérives affairistes et népotiques.

Chez les Croates, la victoire de Zeljko Komsic, ardent défenseur d’une Bosnie multiethnique, s’explique surtout par le fait que de nombreux Bosniaques ont voté pour ce vétéran qui a combattu à leur côté à Sarajevo pendant la guerre. Son opposant nationaliste, qui faisait campagne pour créer une nouvelle entité croate, a d’ailleurs vivement contesté son élection. Dans ce paysage politique fragmenté et miné par de multiples soupçons de fraude électorale, la formation d’un gouvernement devrait prendre plusieurs mois. Les Bosniens, qui se sont de nouveau largement abstenus – seuls 53,3 % d’entre eux se sont déplacés – et émigrent de plus en plus massivement vers le reste de l’Europe, ne devraient de toute façon y prêter qu’une attention modérée.