Deux femmes – une grand-mère et une poétesse – ont été à l’honneur de la huitième édition des Ecrans de Chine, festival indépendant qui projette chaque année à Paris, puis dans d’autres villes européennes, une douzaine de documentaires chinois. Dimanche 7 octobre, Michel Noll, le fondateur du festival a, au nom du jury, distingué deux films centrés sur des personnages féminins : Une famille au gouffre et Demain toujours.

Réalisé par Yao Zubiao, Une famille au gouffre (71 minutes) décrit la coexistence difficile d’une vieille mère et de son fils dans un minuscule village du Yunnan situé dans un gouffre naturel. Les environs sont superbes. Les autorités locales qui y ont apporté l’électricité aimeraient y développer le tourisme, le fils aussi mais la mère n’entend pas se séparer de son unique bien, le porc qu’elle élève et qui réduit à néant les efforts du fils pour embellir le hameau. A travers cette plongée au cœur de la Chine profonde, le réalisateur offre une métaphore sur le conflit qui oppose les Anciens et les Modernes. Au passage, on notera cette remarque du fils, à bout d’argument : « Le président Xi Jinping arrive à bien s’entendre avec ses voisins et toi tu n’es même pas capable de t’entendre avec ta famille. »

Affiche du documentaire de Yao Zubiao, « Une famille au gouffre » (« The Family in Sinkhole »). / LES ÉCRANS DE CHINE

Une handicapée devenue star

Le second film primé est davantage grand-public. Réalisé par Fan Jian, Demain toujours (88 minutes) est consacré à une star chinoise, au destin exceptionnel. Née en 1976 dans un village du Hubei, Yu Xinhua est handicapée de naissance. Victime d’une paralysie cérébrale qui l’empêche de s’exprimer et de marcher normalement, cette jeune femme, mariée à un ouvrier du bâtiment qui travaille à Pékin, tue le temps en écrivant des poèmes.

Or, en 2014, l’un des ses textes, J’ai traversé la moitié de la Chine pour dormir avec toi, bouleverse les Chinois. Plus d’un million le lisent sur les réseaux sociaux. En quelques mois, la paysanne handicapée devient une star qui donne des conférences à l’université et participe à toutes sortes d’émissions à la télévision. Riche et célèbre, elle en profite pour demander le divorce au grand dam de son mari mais aussi de sa mère.

Yu Xinhua dans le documentaire de Fan Jian, « Demain toujours » (« Still Tomorrow »). / LES ÉCRANS DE CHINE

A travers le portrait de cette combattante, pleine d’énergie et qui ne cache pas haïr son handicap – elle refuse d’ailleurs d’être porte-parole de handicapés –, ce documentaire offre de nombreuses portes d’entrée sur la Chine : les relations entre villes et campagnes, entre hommes et femmes, entre mères et filles, entre les personnes handicapées et leur entourage…

Une vitrine internationale

Le jury a tenu à distinguer deux autres films : Turtle Rock, de Xiao Xiao, un très beau documentaire en noir et blanc sur le village où le réalisateur a passé son enfance et où rien ne semble avoir changé depuis des décennies et L’Observateur, un documentaire réalisé par une Italienne, Rita Andreetii, sur Hu Jie. Peu connu, y compris en Chine, cet ancien militaire chinois devenu documentariste et peintre met en valeur certains pans peu glorieux de l’histoire de la Chine communiste, ce qui lui vaut d’être marginalisé par les autorités.

Petit festival indépendant – et donc pauvre –, Les Ecrans de Chine a reçu cette année pas moins de 120 documentaires. Une fois projetés à Paris, les onze films retenus vont maintenant tourner dans neuf autres villes européennes, offrant à leurs réalisateurs une vitrine internationale d’autant plus appréciable qu’en Chine, les festivals de films indépendants se font de plus en plus rares.

Sur le Web : www.ecransdesmondes.org/festival/ecransdechine et www.lentrepot.fr/Festival-Ecrans-de-Chine-2018.html